dimanche 26 mai 2013

1468. Ep3. Corsaires bretons en mer d'Irlande

Débarqué en décembre dans la ville de St Malo, Yann La Roche n’espérait que repartir. On le força à prendre deux mois de repos. Les mercenaires de Kérouzéré avaient passé la majeure partie de l’année 1467 outre-manche et avaient participé à des opérations de polices dans le sud puis à des raids de représailles le long de la frontière anglo-écossaise. Yann ne revenait pas les mains vides mais elles étaient bien moins pleines que lors de son retour de Bourgogne. Le contrat obtenu par le Sieur de Kérouzéré avait été respecté par les deux parties. Le comte de Warwick avait même assuré le paiement des soldes de l’automne et avait démobilisé les bretons à Plymouth avant de les transporter sur trois de ses propres navires à St Malo. Malgré sa montée en grade, Yann trouva que le bénéfice était bien trop faible pour l’investissement humain et financier de départ. Un tiers des bretons reposait dans les Lowlands et les raids constants avaient ruiné cette contrée rendant le pillage peu profitable. A part des équipements de prise, le butin avait été plus que maigre. Si le siège de Dinant lui avait rapporté une vraie fortune, ce contrat anglais était un échec. Le sieur de Kérouzéré qui était un capitaine de guerre correcte, s’était révélé être un piètre négociateur, surtout quand cela ne servait pas ses intérêts. Les soldes et le ravitaillement avaient eu du retard. Les renforts n’étaient jamais arrivés et l’équipement s’était détérioré au point qu’une partie de la bande s’équipa chez l’ennemi. A l’automne, Yann s’en tirait encore grâce à la débrouillardise de son compère Yvon, capable de trouver de quoi manger dans la lande la plus désolée.  Mais sa mort, en octobre, avait été un choc. Ce jour-là, les écossais avaient décidé de frapper un grand coup et mobilisé un schiltorn (carré de piquiers) qui laissa le quart du commandement de Kérouzéré faces contre terre et les pieds devant. Réduit à moins de 150 hommes, la compagnie fut placée dans une garnison où elle végéta un long mois. La découverte par Kérouzéré de l’alcool locale n’arrangea pas du tout la qualité de son commandement. Yann avait difficilement maintenu une discipline minimum dans la troupe désœuvrée et régulièrement enivrée. A son arrivée à St Malo, le sieur de Kérouzéré avait été cassé par l’employeur de la Bande : André de Lohéac.
Ce parcours chaotique avait mené Yann sur cette plage venteuse et froide de la mer d’Irlande. Son nouveau chef n’était autre que son propre employeur, nouveau vice-amiral de Bretagne. Le duc lui avait confié en décembre l’armement d’une escadre de vingt navires financés par le roi de France. En accordant des lettres de marques gratuites aux Malouins, François II réussit à augmenter à moindre frais la taille de cette flotte qui gagna ainsi dix nouveaux bâtiments. En avril, la flotte avait chargé des hommes et des vivres pour quatre mois et voué vers le nord. Les trente navires arrivèrent en vue du château de Harlech au pays de Galles à la fin du mois. Pendant dix jours, Yann organisa le débarquement des vivres et des renforts destinés à la garnison lancastrienne. Pendant ce temps-là, André de Lohéac se réunissait en conseil de guerre avec Jasper Tudor. Ils décidèrent de mener une campagne de raids sur les côtes du nord de l’Angleterre et en particulier dans les terres dépendant du duché de York. Dernier bastion des Lancastres en Angleterre, Jasper Tudor proposa de s’emparer d’une position plus sécurisée. L’importance des défenses de la cible obligea les capitaines à planifier une opération nocturne et un coup de main. Yann se retrouva donc sur la plage de Castletown, dans la nuit 23 au 24 mai. Son groupe de quarante soldats quitta la grève en silence. Seul chuchotait le guide anglais qui les dirigeait vers le château de la ville. Au petit matin, ils se cachèrent à portée de voix des murs de la forteresse. Yann envoya le guide et deux de ses hommes qui parlaient anglais attirer les gardes à l’extérieur. Ils simulèrent bagarre d’ivrognes.  Après quelques hurlements, bousculades et horions, les gardes intervinrent sur ordre de leur chef et les trois hommes furent entraînés vers les grilles du château. Dés leur entrée dans le fort, les trois hommes estourbirent les miliciens et  bloquèrent les grilles. Les quarante hommes de Yann pénétrèrent dans la forteresse, nettoyèrent les pièces une à une et hissèrent la bannière des Lancastres sur la plus haute tour.  Deux heures plus tard, la flotte d’André de Lohéac se présenta à l’entrée du port. Jasper Tudor débarqua. Il promit aux habitants de ne pas piller leur ville s’ils se ralliaient à lui. Les dirigeants de la cité ne se firent pas prier d’autant que le Earl of Pembroke était arrivé avec 400 bretons et 300 anglais armés jusqu’aux dents. Les trente navires de Lohéac débarquèrent hommes et ravitaillement avant de commencer à patrouiller autour de l’ile. Trois jours plus tard, ayant fait le tour des bourgs et villages de l’ile, Jasper Tudor était de retour. L’ile de Man avait basculé dans le camp Lancastre.

Blason de la Ville de St Malo au XXè siècle
qui rend compte de son role prépondérant dans la marine bretonne.

Dés le début juin, le baron de Retz mit les voiles sur l’Angleterre, il laissait derrière lui les navires malouins chargés de défendre l’ile et de perturber les échanges dans la mer d’Irlande. Ils avaient pour mission de capturer un maximum de navires pour le compte de Jasper Tudor qui leur promit de leur laisser la totalité de la cargaison s’ils les prenaient intacts. Fin aout, les Lancastres avaient à leurs dispositions une escadre de sept navires qui se chargèrent de la défense de l’ile et du ravitaillement du château de Harlech au Pays de Galles. A la mi-septembre, les malouins rentrèrent en leur cité les cales pleines de denrées qu’ils vendirent en Normandie et le roi fort heureux les exonéra de taxes douanières. La nuit la plus courte de l’année et la clarté particulière dont elle fit preuve cette année-là permit à André de Lohéac de mener le raid qu’il planifiait depuis avril. Il avait obtenu de marchands gallois acquis à Jasper Tudor, l’information importante que les défenses de Barnstable étaient dans un état lamentable et que la ville n’était gardée que par une milice bourgeoise inefficace. Le 21 juin, les navires bretons s’engagèrent dans le Bristol Channel et jetèrent l’encre dans une anse désolée à deux encablures de l’embouchure de la rivière Taw. A la nuit tombée, il fit embarquer toute la bande sur des barges et aidé par la marée, il remonta les 7km qui le séparaient de la ville. La prise de la ville ne fut qu’une formalité pour les 500 hommes entraînés et ne fit qu’une dizaine de décès parmi les habitants. Jusqu’à midi, le pillage fut systématique et le sac ne fut découvert qu’en fin d’après-midi par les forces anglaise du comté. André de Lohéac mit à contribution l’expérience de Yann et redescendit la rivière avec des barges qui croulaient sous le butin. Yann partit le dernier de la ville en incendiant les bateaux qui se trouvaient dans le port. Le chargement fut long et frustrant car le baron voulait maintenir dix navires patrouillant dans le Bristol channel. Le soir surprit la flotte bretonne portant la bannière Lancastre au large de Swansea. Les navires filèrent plein ouest jusqu’au petit matin puis s’en retournèrent vers le nord. Ils arrivèrent à Harlech le 24 juin.



Reconstitution 3d du Chateau de Harlech.

Dans la foulée, Jasper Tudor proposa d’attaquer au nord du pays de Galles la ville de Denbigh. Le baron de Lohéac fit remarquer qu’un raid sur cette ville allait directement attirer l’attention des Yorkistes sur le château de Harlech. Pourtant, Jasper Tudor décida de réaliser cette expédition tandis que la flotte de Lohéac patrouillerait les côtes du Lancastershire pour attirer les forces d’Edouard hors du pays de Galles. Alors que le baron de Retz débarquait au nord de Preston et ravageait le littoral, Jasper Tudor pilla la ville à la mi-juillet. Mais un incendie s’y déclara et l’ensemble de la communauté disparut dans les flammes. Ce que Lohéac craignait se réalisa. Informé de l’arrivée de Jasper Tudor et de son neveu Henry, Edouard IV envoya 10.000 hommes dans le nord du pays de Galles avec mission de s’emparer de la dernière position Lancastre. La garnison qui avait tenue pendant sept années face à la pression des troupes yorkistes se retrouva dans une situation inextricable au début du mois de septembre. Malgré les ravitaillements et les débarquements sur les arrières des Yorkistes, Dafydd ap Ieuan, le commandant de la garnison dut se rendre le 14 septembre. Les Tudor se replièrent avec leur petite flotte sur l’ile de Man. L’approche de l’hiver rendait la navigation en mer d’Irlande très hasardeuse et laissant un maximum de ravitaillement, le baron hissa les voiles pour la Bretagne. Il promit à Jasper Tudor de renvoyer des navires au printemps. Les malouins furent les premiers à revenir en mars 1469 avec un chargement de grains qu’ils vendirent à bon prix. Le destin du Baron l’attendait ailleurs.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire