vendredi 28 juin 2013

1475. Ep2. Temps de paix en Bretagne.


François II vit la paix arrivée avec soulagement car l’énorme effort maritime qu’il avait entrepris commençait à peser sur ses finances et sur la population. L’armement de 50 navires avait prélevé une si forte partie de la population de pécheurs que la pêche, les sécheries et le commerce maritime avaient connu leur première baisse d’activité depuis les réformes de Pierre Landais. André de Lohéac restructura la marine bretonne par soucis d’économie et parce que Louis XI ne continuerait pas à financer une flotte aussi importante en temps de paix. Il diminua le nombre de navires en escadre à 20. 16 carvels et 4 caravelles se répartirent en deux escadrons, le premier à Morlaix et le second à Port-François qui resta le premier centre de ravitaillement et de construction des navires du duc. Le trésorier des Guerres vendit les plus endommagés et les plus anciens aux enchères à Nantes et Morlaix. Les agents de Jean de Rohan en acquirent cinq qui complétèrent la flotte embryonnaire du prince-marchand de Bretagne. Les acheteurs malouins cherchaient eux des navires armés car ils avaient obtenus du Sire de la Mer, le droit de s’armer en corsaire pour des nations étrangères. C’est ainsi que Jacques Danycan repartit en Irlande avec une dizaine de bâtiments malouins. La Notre Dame du Lac connut un sort plus funeste. Décortiquée par les charpentiers de Port-François, elle ne fut remontée qu’en 1477 et finalement, vendue. Yann de Ranrouët conserva le commandement de la Grande Escadre dite aussi escadre du ponant tandis que Quelennec le Jeune garda celui de l’escadron de Port-François. La Grande Escadre perdit nombre de navires anciens et ne se composa plus que de 12 carvels et de 3 caravelles à partir de 1475. André de Lohéac décida de maintenir les 8 caravelles garde-côtes pour lutter contre la contrebande en Manche.
Le retour des marins permit de réarmer de nombreux navires marchands et bâtiments de pêches dés l’été et les échanges avec les Flandres et la péninsule ibérique reprirent rapidement. Les navires bretons étendirent leurs rayons d’action jusqu’à Hambourg et jusqu’à la méditerranée. Si la Hanse dominait la Baltique, si les Anglais conservèrent l’avantage dans leurs relations avec les Flandres, les Bretons supplantèrent les autres nations dans le domaine du transport atlantique de marchandises. Seul, le Portugal maintient un commerce florissant autour du sucre de ses iles atlantiques. L’Irlande, encore en guerre avec les Anglais, entra directement dans le commerce breton. Rohan y écoula des armes et des canons tandis que les négociants de Morlaix y vendirent en priorité du vin, du sucre et du blé en surplus en Basse- Bretagne. Ils ramenèrent de la laine, des plants de lin et des peaux. Les plants de lin connurent un grand succès en Bretagne en raison de leurs faibles couts par rapport à ceux de la baltique. Pendant un temps, la laine approvisionna les ateliers de draps autour de Rennes et Vitré mais elle était trop concurrencée par la production de l’élevage breton qui se développait sur les terres incultes. Ainsi, la laine et les peaux d'Irlande disparurent rapidement du marché breton. Enfin, les malouins y trouvèrent un terrain de chasse idéale sous les ordres de Jasper Tudor avec la bénédiction du duc et du roi de France.


La Forteresse d'Ancenis, complétée en 1484, fut creusée dans la rive de la Loire et les parties vulnérables aux boulets construites en briques qui absorbaient mieux le choc des boulets de métal.
La diminution des dépenses militaires permit au duc de s’atteler à de nouveaux projets. En mai, il décida en son conseil de guerre de rénover les défenses de châteaux de sa marche avec la France. Il s’agissait de changer le dessin des forteresses pour adapter tours et murs à l’usage de l’artillerie. François II prit alors deux décisions qui changèrent la Haute - Bretagne. Il imposa une nouvelle architecture des forts avec des tours plus basses, semi-enterrées, aux murs doublés en épaisseur et capables de supporter deux à quatre pièces d’artillerie tirant en enfilade. Deuxièmement, il décida de rénover les routes de Bretagne pour faciliter le transport des pierres nécessaires aux nouvelles constructions et l’approvisionnement des forteresses. Ancenis et Fougères seraient les deux premières cités à profiter de ces innovations. Il exonéra les transports de pierres de tous péages et de toutes taxes vers ces deux destinations à condition qu’elles proviennent de carrières bretonnes.





Les nouveaux murs de Fougères complétées en 1487. le talus à gauche fut obtenu par le creusement des fondations et des douves.
Allié de la France contre le Téméraire, François II ne se préoccupait pas de la réaction de Louis XI concernant ces deux forteresses. S’il avait obtenu le contrôle des iles anglo-normandes jusqu’à la paix, les agents du duc l’avaient informé de l’opposition des parlementaires parisiens à l’enregistrement du traité d’Angers. Or, depuis février, Louis XI n’avait pas obligé son parlement à officialiser ce traité. Connaissant le pouvoir du roi de France et sa volonté implacable de le faire appliquer, François II comprit rapidement qu’il s’était fait berner par le résident de Plessis-lès-Tours. C’est ainsi qu’il exigea une petite hausse des tarifs de recrutement de ses mercenaires en août lorsque les trésoriers du roi vinrent recruter les Bandes du Léon et de Cornouailles. Cette petite vengeance ne mena à rien. Le jour de la St Michel, au dernier jour des Grands Jours de Rennes, François II annonça la transformation de cette cour de justice en Parlement.

Jean II de Rohan fut bien aise à l'automne quand sa femme lui apprit qu'elle était enceinte. Yann de Ranrouët, seigneur de Noirmoutier, vice-amiral de Bretagne le fut aussi quand il épousa la fille de Guillaume Chauvin, Isabelle, de 10 ans sa cadette. Ses témoins furent André de Lohéac et son ami Rohan. Enfin, Pierre Landais apprit que son fils se mettrait sur le chemin du retour à la nouvelle année. Son grand projet allait prendre forme.

jeudi 27 juin 2013

1475. Ep1. Le bâton ou la carotte.


Jacques III d'Ecosse, le pion surprise de Louis XI qui recevra à partir de 1474, une pension de 20000 écus de la France.
En Angleterre, Edouard IV reconstruisait lentement ses capacités navales. Les échanges avaient repris avec les bourguignons et la flotte bretonne semblait avoir disparu. Le roi avait réussi à rassembler une nouvelle escadre de vingt navires dans la Tamise et comptait l’envoyer à Douvres dés l’arrivée des beaux jours. Sa mission serait de protéger ses communications avec le continent. S’il avait réquisitionné quelques bateaux marchands, il avait aussi recruté en Flandres avec l’accord du Téméraire. Dix navires bourguignons devaient arriver à Calais au printemps. Charles lui promit aussi de revenir en Picardie dés qu’il aurait châtié les Suisses qui fomentaient troubles et désordres dans ses territoires et sur ceux de ses alliés. Jusqu’en février, Edouard IV essaya de séparer France et Bretagne. Il offrit à l’émissaire breton, Jean de Rohan, trêve, traité commercial avantageux et alliance matrimoniale. François demanda un temps de réflexion car il avait des engagements vis à vis de Louis XI et des Tudors, ennemis déclarés de l’Angleterre. L’attitude du duc ne surprit pas le comte de Rohan. Ménager la chèvre et le chou était devenu une tradition à la cour de Bretagne. Jean de Rohan savait pertinemment que son beau-frère ne changerait jamais de camp aussi facilement. Mais, comme tout chef d’état courtisé qui se respecte, François II fit monter les enchères jusqu’en février. Sa réponse arriva à Douvres, le 12 mars.
A Nantes, les propositions du roi d’Angleterre avaient fait sourire. Les subsides que Louis XI fournissait régulièrement au duché, étaient devenus une véritable manne pour nombre de bretons et pour le duc. Pierre du Pont - L’Abbé et ses bandes de Cornouailles et de Léon revinrent de Suisse pour les Vins du Duc. Le Baron de Rostrenen devint le bras droit du Maréchal de Bretagne, obtint un siège dans la Confrérie des Bandes et repartit avec le nouveau contingent de Bretons pour la France. Apprenant cette volonté de servir, le Roi de France fournit chevaux, armes et ravitaillement aux bandes de Retz et Nantes et l’envoya aider les Suisses. Pour la première fois, Louis XI conserva les compagnies de Vannes et Rennes pour servir à côté de ses Ecossais. Apprenant les discussions de l’Angleterre avec la Bretagne, Le monarque de France se déplaça jusqu’à Angers et rencontra François II. Il lui proposa la seule et unique chose qu’il désirait vraiment. Ce n’était ni la main d’Anne de France, ni un traité de commerce, ni des terres, ni un pénultième coffre plein d’or. Le 10 février, Louis XI offrit l’autonomie judiciaire. François sauta sur l’occasion et signa immédiatement le traité proposé dans lequel il était stipulé qu’aucune affaire de Bretagne ne serait jugée, ni examinée par le Parlement de Paris. Louis accepta aussi d’appuyer les bretons pour qu’ils obtiennent les iles anglo-normandes dans les négociations avec l’Angleterre. François II sortit réjouit de l’entrevue. Il ordonna la sortie de sa flotte et demanda à ses corsaires des actions plus vigoureuses.
A Londres, Jean de Rohan apprit la nouvelle avec stupeur et se présenta à Edouard IV le 4 mars pour l’anniversaire de son couronnement. Il lui déclara que le duc voulait la paix mais que liés à la France, les bretons restaient en guerre avec l’Angleterre jusqu’à la conclusion d’une trêve entre Edouard et Louis. Le 5 mars, la ville de Londres apprit qu’un émissaire d’Ecosse était arrivé dans la capitale. Il demanda et obtint audience au palais pour présenter ses lettres de créance. Le 10 mars, après les formalités d’usage, il annonça que le royaume d’Ecosse avait passé une alliance défensive avec la France. Edouard ne répondit rien. Louis XI avait réussi un coup diplomatique. L’Angleterre était seule et entourée d’ennemis. La nouvelle se répandit vite dans les villes et les campagnes. Le 12 mars, Yann de Ranrouët se présenta devant le port de Douvres. Il fit tirer à blanc ses navires, les uns après les autres. La cité fut prise de panique et une partie des habitants s’enfuit propageant la nouvelle d’un débarquement. Même si l’information fut vite démentie, Edouard IV comprit qu’il n’allait pas gagner cette guerre. Il demanda une trêve. Le traité de Douvres du 15 avril laissait à la Bretagne le contrôle des iles anglo-normandes dont le statut devait être fixé à la paix. La France obtenait la fin de l’alliance anglo – bourguignonne et une trêve de 6 ans. L’Irlande ne fut pas mentionnée dans le traité.
 

Château de Douvres

 

mercredi 26 juin 2013

1474. Ep6. Vers une 3ème manche ?

Lorsque les Malouins avaient envahis l’ile de Wight, les Londoniens avaient réagi avec énergie et détermination. Nombre d’entre eux s’étaient engagés dans les équipages de la flotte. Edouard IV, roi d’Angleterre et Seigneur d’Irlande, avait chevauché immédiatement jusqu’à Portsmouth mobilisant au passage toutes les bonnes volontés qu’il rencontrait. Si le raid avait fait craindre une invasion, la défaite à Calais du 23 juillet rendit la menace parfaitement crédible pour nombre d’habitants du sud de l’Angleterre. Un sentiment d’effroi se répandit dans les campagnes et dans la ville de Londres. Les Français arrivaient. Le Roi prit des mesures d’urgence. Il ordonna de réquisitionner les meilleurs navires marchands présents dans la Tamise et de maintenir les milices en armes jusqu’à l’arrivée des vents violents d'automne. Le Parlement accepta de financer ce nouvel effort. Dans le Kent, le Sussex, et le Hampshire, la population resta en armes toute la saison, s’entraînant et surveillant constamment le littoral. Si elle aperçut de temps en temps un navire battant croix noire ou fleur de lys, elle ne vit jamais une flotte arrivée sur les côtes et débarquée une horde de Français ivres de vengeance. Fin septembre, une violente tempête annonça la fin de l'été et des grandes opérations maritimes. Edouard démobilisa ses troupes et espéra passer l’hiver tranquillement à remettre en ordre flotte et défense. Mais les grognements se développaient en Angleterre et la populace manifestaient publiquement son dédain pour le roi. En raison des fortes pertes navales, des réquisitions et des troubles dans le commerce, Londres, Douvres et Calais connurent quelques incidents publics. A l’hiver, même s’il avait ramené un semblant de calme, Edouard avait mauvaise réputation et l’arrivée d’émissaires français et breton n’avait rien arrangé.

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Représentation de la Tour de Londres au XVè siècle. 
 
La flotte bretonne revint dans ses ports rapidement après la bataille de Calais. André de Lohéac succéda à son compère Jean Quelennec dit le Vieux et on lui donna immédiatement le surnom de son prédécesseur. Se considérant comme trop âgé, André ne souhaitait plus prendre la mer. Mais, il fut nommé Seigneur de la Mer en charge du maintien et de la direction générale de la flotte bretonne. Ce titre supplantait celui des Amiraux de Bretagne. Le Seigneur de la Mer siégeait à Port-François et menait les services et la stratégie de la marine bretonne. Il était aussi le président du conseil de guerre de Bretagne en l’absence du Duc. Quelennec le Vieux, malade, se retira et mourut aux premiers frimas. Pour lui rendre hommage, André de Lohéac nomma un des nouveaux navires de son prénom : Le Vieux Jean, caraque de guerre de trente canons servie dans la marine bretonne jusqu’en 1540. Le duc promut Quelennec le Jeune au rang de vice-amiral, sans lui accorder les droits de l’amirauté qui revinrent au Seigneur de la Mer. Yann de Ranrouët prit en charge la Grande Escadre de Morlaix qu’André de Lohéac porta à 40 navires. A Port-François, Quelennec le Jeune commandait 10 bâtiments de la dernière génération. Il était chargé de leurs entraînements et de leurs améliorations. André de Lohéac voulait ainsi sanctuariser le Golfe de Gascogne et la Mer d’Iroise tandis que la Grande Escadre devait bloquer toute pénétration anglaise dans les eaux de Bretagne. Il entama aussi une étude des différents ports de la Bretagne Nord car depuis deux ans, le port et le chantier de Morlaix étaient constamment surchargés. Il fallait trouver un site approprié pour y développer un Port Ducal. Enfin, cannibalisant les prises anglaises et grâce aux fournitures navals en provenance de la Hanse, le Vieux réussit à porter la flotte bretonne à 60 navires. Elle comprenait dix caravelles garde-côtes, 8 caravelles d’escadre et 42 carvels, nom que le vieux attribua aux nouvelles caraques de guerre. La flotte bretonne passa la fin de l’été à patrouiller la Manche mais surtout à réparer les navires endommagés et à se réorganiser. Après l’équinoxe d’Automne, Quelennec le Jeune emmena son escadron vers le sud. Il embarquait les ambassadeurs du Duc auprès des puissances ibériques et de la papauté.

A la fin aout, Louis XI décida d’envoyer des ambassadeurs en Angleterre pour demander une trêve. Depuis la bataille de Calais, il pensait qu’Edouard IV n’avait plus les capacités de mener des actions sur le continent pour au moins deux années. Les Irlandais et les Bretons faisaient le travail pour lui. Ils avaient battus une flotte anglaise et auraient le champ libre l’année prochaine dans la Manche et la mer d'Irlande. A la toussaint, il envoya au duc les financements pour la flotte de Bretagne ainsi que pour le recrutement des Bandes de Retz, Rennes, Vannes et Nantes. En Angleterre, Philippe de Commynes et Jean de Rohan, émissaires de Louis XI et de François II, rencontrèrent de nombreuses résistances. Pourtant, Louis XI ne demandait qu’une trêve de plusieurs années et le Duc de Bretagne le contrôle des iles anglo-normandes. Mais, les Anglais ne désiraient pas la paix. La situation financière et militaire du royaume d’Angleterre était difficile. Cependant, le peuple, les marchands et la noblesse ne pensaient qu’à obtenir réparations de la France et de la Bretagne pour les pertes humaines, territoriales et navales des années précédentes. En décembre, lors d’une audience royale, Edouard IV demanda non seulement le retour des iles anglo-normandes mais aussi, celui de l’Irlande sous l’autorité de son seigneur légitime. En coulisse, il déclara que cette déclaration avait juste pour but de calmer la rue et qu’il était prêt à continuer les pourparlers. Philippe de Commynes et Jean de Rohan étaient sceptiques car ils connaissaient les préparatifs navals et militaires qui se déroulaient dans la Tamise et à Douvres. Apprenant cette situation, le roi de France décida d'employer toutes les armes diplomatiques dont il disposait. Le 18 décembre, trois courriers partirent le long de la Seine, vers la Manche.
Le Palais Royal du Louvre au XVè siècle, représentation tirée des Richesses Heures du Duc de Berry.

 

 

mardi 25 juin 2013

1474. Ep5. Real Politik


A Neuss, Charles le Téméraire échoua tout l’hiver à obtenir la reddition de la ville. La cité protégée par ses vastes douves et sur une île du Rhin, ne pouvait être approchée que par des ponts enjambant deux îlots. Malgré d’importants travaux de siège, Charles piétinait devant les défenses de la cité. Celle-ci était ravitaillée par la rivière grâce à une noria de barges qui arrivait de Cologne. Si les Bourguignons réussirent à conquérir les iles et à y installer des batteries, les inondations de l’hiver les en chassèrent. Au printemps, ils avaient tout à refaire alors que la crue de Rhin diminuait. Le Téméraire tenait sa cour sous la tente et y menait grand train. Il recevait ambassadeurs et courtisans qui venaient de toute l’Europe pour obtenir ses faveurs. Mais il restait sur le qui-vive car l’empereur Fréderic III approchait. L’ost impérial n’avait rien de comparable avec celle du Bourguignon. Malgré les subsides de Louis XI, elle ne se composait que du ban féodal, de milices urbaines et de la cour de l’empereur. Même si nombre de Princes de l’Empire accompagnaient Frédéric et rêvaient de rabaisser le toupet du duc de Bourgogne, l’Empereur savait que sa puissance n’était pas militaire, mais diplomatique. Il n’avait pas les moyens de faire la guerre, ni de risquer une défaite qui compromettrait son fragile pouvoir. Mais il savait que Charles cherchait à obtenir plus de légitimité et était prêt à accepter beaucoup, juste pour être reconnu. Bloqué depuis 10 mois devant Neuss, le duc de Bourgogne voulait en finir d’autant plus qu’il commençait à avoir du mal à payer ses mercenaires et il s’inquiétait de la situation dans ses domaines. Les deux monarques étaient dans une impasse.

Frédéric III, Empereur du St Empire Germanique.
L’Empereur s’avança vers Neuss et après quelques escarmouches de pure forme, il installa son camp à une journée de celui du Téméraire. Les négociations aboutirent à un compromis qui ne satisfit aucun des partis mais permit aux deux protagonistes de sortir du cul-de--sac dans lequel ils se trouvaient. Frédéric III refusa de soutenir Charles dans ses ambitions impériales. Mais, il accepta que leurs enfants se fiancent. Marie de Bourgogne devint la promise de Maximilien de Habsbourg. Frédéric n’en refusa pas moins de lui laisser le contrôle de l’archevêché de Cologne. Charles et l’Empereur se quittèrent tous les deux mécontents. Frédéric se sentait humilié par la richesse et l’audace de son vassal tandis que Charles revint frustré et désabusé car il avait compris que Frédéric ne lui accorderait jamais rien. Il avait perdu du temps et ses ennemis s’en donnaient à cœur joie.
Au sud, les terres bourguignonnes connaissaient des temps difficiles. La Franche-Comté avait connu une année infernale en raison des raids de Pierre du Pont-L’Abbé. Les villes d'Alsace avait pris leur indépendance et se liait de plus en plus avec les Suisses malgré la pression de Sigismond d’Autriche. En lorraine, Renée II avait tourné casaque. S’alliant avec Louis XI, il expulsa les troupes bourguignonnes de son duché. Libéré de la menace anglaise, le roi de France avait lancé une offensive dans le Luxembourg et en Picardie pour déloger les garnisons du duc. Enfin, les Suisses entamèrent la conquête du pays de Vaud pour dégager les accès aux foires de Genève et de Lyon. Ils mettaient ainsi en difficulté le plus fidèle allié de Charles, la Savoie. La situation stratégique des Etats Bourguignons était catastrophique.
Quittant enfin Neuss, le 27 juin, le duc revint en ses états et dirigea son armée sur Namur. il lui fallait absolument mettre à bas la Lorraine qui coupait en deux ses territoires et pour cela, mettre fin à l’attaque de Louis XI. Il envoya donc des diplomates. Louis XI accepta car dans le midi, les nobles et les habitants du Roussillon n’acceptaient toujours pas sa politique et poussés par les agents de Jean d’Aragon, étaient de nouveau, en pleine révolte. Louis XI laissa donc la Lorraine, Les Suisses et les Alsaciens se battre seuls avec l’appui de quelques mercenaires bretons qu’il fournissait. Cette petite trahison lui permettait de concentrer l'ensemble de ses forces dans le sud. De même, Charles délaissa ses alliés aragonais et anglais pour faire face à la plus grande menace, la défection de la Lorraine. Le 13 septembre, Charles et Louis signèrent une nouvelle trêve à Soleuvre de 9 ans.


Mercenaires Suisses franchissant les Alpes.
A partir de Namur, les bourguignons menèrent une campagne d’automne exceptionnelle. Ils s’emparèrent de l’ensemble de la Lorraine en quelques mois et y placèrent des garnisons. Le 30 novembre, le Téméraire entra en grand apparat à Nancy et épargna la ville car il venait d’y convoquer les Etats de Lorraine. Lors de cette réunion, le duc obtint un serment de fidélité des représentants lorrains et leur promit de faire de Nancy sa capitale. Mais, pendant ce temps, les Suisses avaient attaqué le Pays de Vaud, ravagé les campagnes, détruit nombre de châteaux de ce pays et installé des garnisons dans Grandson et Morat. Leur brutalité indigna le duc de Bourgogne. Les Suisses avaient ainsi libéré les accès à Genève et Lyon que la Savoie interdisait aux marchands étrangers. Mais, ils avaient  aussi coupé l'accès du Téméraire à l'Italie et à ses mercenaires. En Franche- Comté, Pierre du Pont-L’Abbé tenta de ralentir les forces bourguignonnes qui se concentraient près de Besançon. S’il réussit à bloquer de nombreux raids, les Alsaciens savaient qu’il ne pourrait rien contre l’ost bourguignon et décidèrent de négocier avant de subir la fureur du duc de Bourgogne. Une trêve fut donc conclue sans les Suisses. 
 
 
 
 

lundi 24 juin 2013

1474. Ep4. Seconde Manche.

Les premiers incendies qui furent déclenchés pendant cet été - là s’embrasèrent en Irlande. Henry Tudor et Tadgh Liath MacCarthy mirent les frontières de l’Ulster à feu et à sang à partir du mois d’avril. Puis, ils passèrent à l’offensive en juin. Alors que la flotte de Jasper Tudor assurait le ravitaillement de l’armée, les troupes entraînées par les Bandes du Trégor et du Penthièvre progressèrent lentement vers le nord et assiégèrent Belfast à partir du 10 juillet. Si la prise de la cité, le 3 aout, sonna le glas de la résistance sur la cote est de l’Ulster, le roi du Tyrone, Henry O’Neill poursuivit le combat. Son clan ne baissa pas les armes malgré sa défaite à Portglenone le 27 et il lança raids et pillages sur les territoires que contrôlaient Henry Tudor et ses alliés. L’armée d’Irlande arriva sur la Foyle le 1er septembre. La mise en place d’un blocus naval par Jasper Tudor permit la reddition de Derry, le 7. A l’automne, Henry Tudor y installa une forte garnison et mit son armée en quartier d’hiver autour de Belfast. S’il contrôlait les littoraux et les ports de l’Ulster, Henry n’avait pas rallié l’intérieur des terres. Pourtant, les forces du clan O’Neill déclinaient rapidement. les désertions se multipliaient. En septembre, Henry Tudor envoya son oncle Jasper en Bretagne acheter du blé. La guerre avait ruiné l’agriculture dans le nord de l’Irlande et Il voulait gagner les populations à sa cause.
Bristol médiéval.
 
Après son succès à l’ile de Wight, Jacques Danycan passa juillet à St Malo où il procéda aux essais de sa nouvelle caraque. Puis, il mit les voiles vers le canal de Bristol où il tenta de surprendre l’escadron anglais qui s’y trouvait depuis un an. Si Jacques Danycan prit quelques navires marchands, l’escadre anglaise resta à l'abri dans la Severn malgré ses pillages de la côte galloise et cornouaillaise. En septembre, le Gouverneur retourna en Bretagne puis il prit le chemin des iles anglo-normandes pour y passer l’hiver.
A l’Ecluse, 20 navires marchands bretons attendaient le grand convoi du nord. Les négociants d’Armorique firent rapidement leurs affaires, échangeant vins, toiles et draps contre les denrées de la Baltique. Grâce à la protection de l’escadron de Yann de Ranrouët, ils eurent des conditions préférentielles dans les échanges et une bonne partie des cargaisons de la Hanse finit entre leurs mains. Cela indigna les commerçants de Bruges qui durent payer le prix fort et qui s’empressèrent de renseigner la flotte anglaise à Calais. Celle-ci appareilla dés le 11 juillet et se tint en embuscade prête à fondre sur la flotte marchande bretonne. Les 30 navires bretons ne sortirent de la rade de l’Ecluse que le 17 juillet. Dés le départ, Yann de Ranrouët s’inquiéta car les navires marchands n’étaient pas aussi modernes que les siens et louvoyaient moins bien contre les vents d'ouest. Sa progression était donc très lente et il devait régulièrement attendre les moins rapides pour éviter de faire des retardataires des prises faciles. Le 23 au matin, ses équipages aperçurent la flotte anglaise dans la pire des position. Elle arrivait toutes voiles dehors et elle avait le vent pour elle. Yann sut de suite qu’il était surclassé. Ses bâtiments s’interposèrent entre les caraques anglaises et celles des marchands. Les navires bretons ne réussirent à lâcher qu’une seule bordée qui fit des dégâts importants mais insuffisants. L’avant-garde anglaise prit d’assaut l’escadre de Yann. Les équipages de la Bretagne se défendirent avec furie. Les franc-archers, vétérans de la Solent, de Méditerranée et des raids en mer d’Irlande menèrent les marins et formaient des môles de résistance sur toutes les caraques de guerre. Chacune d’entre elles se vit rapidement attaqués par deux navires anglais. Si la situation était désespéré pour les navires du duc, les marchands mal protégés fuyaient vers l’est pourchassés par dix bâtiments de sa majesté anglaise.
Mais de nouvelles voiles apparurent à l’ouest et elles portaient des croix noires. André de Lohéac arrivait à la rescousse.

La bataille de Calais. Fin d'un navire anglais.

 

L’avant- garde de Quelennec le jeune arriva la première. Les agiles caravelles canonnèrent au passage les caraques qui assiégeaient les navires de Ranrouët. Puis elles filèrent au secours des navires marchands. Deux par deux, elles s’attaquèrent aux lourds vaisseaux anglais qui viraient désespérément vers le nord-est. Le corps de bataille de Lohéac approcha plus lentement mais son action fut bien plus dévastatrice. La bordée bretonne endommagea suffisamment les anglais pour faciliter les abordages et les contre-attaques des équipages bretons. 
Dans les combats qui se prolongèrent tard dans l’après midi, les 40 bâtiments bretons submergèrent les navires de sa majesté et prirent 15 navires. Six autres coulèrent corps et âmes tandis que la Edouard par la Grâce de Dieu, caraque amiral de la flotte anglaise explosa emportant avec elle le St Yves. Deux jours plus tard, il ne revint dans la Tamise que 8 bâtiments et 2400 membres d’équipages. Les pertes bretonnes s’élevaient à deux navires de guerre, le St Yves et la petite St Anne d’Auray ainsi qu’à un marchand. Mais les blessés et les morts se comptaient par centaines sur les ponts de l’escadre de Yann. La flotte retourna à l’Ecluse pour réparer, se réorganiser et se ravitailler. André de Lohéac répartit ses équipages sur les prises et renforça les bâtiments de son jeune collègue. Puis précédée par l’escadron de Quelennec le Jeune, la flotte de Bretagne qui maintenant comptait 51 navires de guerre et 19 marchands vogua tranquillement vers St Malo.
La fin du St Yves et de l'Edouard par la grâce de Dieu


 
 

dimanche 23 juin 2013

1474.Ep3. Histoire des marins de Bretagne. Commerce et Raid dans la Manche.



Lors du conseil de guerre de février, André de Lohéac prit Quelennec le Jeune sous son aile. Il décida de rassembler sur son navire un groupe d’officiers jeunes et expérimentés capables de mener des actions indépendantes avec de petits groupes de navires. Il lui confia l’écran de reconnaissance de la flotte qui partait pour la base avancée de St Valéry sur Somme. L’Amiral Lohéac conserva trente des navires bretons pour mener les opérations de convoyages et de patrouilles dans le Pas de Calais car Edouard IV avait rassemblé sa flotte malmenée dans la Tamise. Il ordonna que les navires marchands se rassemblent à Barfleur et soient escortés par au moins  un escadron, soit un tiers de la flotte. Un convoi partirait chaque mois vers les ports de Flandres et la Mer du Nord. La flotte entière les escorteraient jusqu’au Pas de Calais puis une garde plus légère les accompagneraient jusqu’à l’Ecluse ou Anvers.
Yann de Ranrouët, vice amiral de Bretagne, reprit en charge les navires qu’on lui avait confiés l’année précédente. En plus, il obtint le St Gabriel et le St Raphaël qui portèrent son escadron à 9 navires. Il mit les voiles en avril pour St Valéry en Somme. Puis, le vice-amiral partit pour la mer du Nord et le Danemark. Il se trouvait à Copenhague début Juin quand arrivèrent les navires hanséates en provenance des terres baltes. Il organisa un grand convoi destiné à l’Europe de l’Ouest. Le bruit courut à Copenhague que cette flotte marchande attirerait tous les corsaires et pirates du Skagerrak à la Mer d’Iroise. Pourtant, Yann de Ranrouët leva l’ancre le 17 juin à destination des Flandres. Le premier grand convoi du nord était formé. Il comprenait une cinquantaine de voiles, chargées de toutes les richesses du nord de l’Europe. Il transportait du bois, des fourrures, des métaux, de l'argent de bohême, de l'ambre de Prusse, du blé d'Allemagne et des graines de lin de Libau...etc.


Commerce en Baltique au XIVè siècle.

Jacques Danycan, gouverneur des iles anglo-normandes, passa l’hiver à faire des aller-retours entre St Malo et Jersey pour recruter des administrateurs et surveiller la construction de sa nouvelle caraque. Au printemps, il rassembla une troupe de 11 navires dans la capitale de son gouvernement. Il avait longuement discuté avec Lohéac et De Ranrouët avant de décider de piller l’ile de Wight avec une troupe de 2000 franc-archers de l’évêché de St Malo. La Notre Dame du lac était bien sûr de la partie et devait servir de navire de débarquement. Les amiraux avaient accepté cette diversion qui devait faciliter leurs opérations dans le Pas de Calais. Le mauvais temps et la forte houle de la Manche retardèrent le départ jusqu’en juin et la flotte n’arriva à St Helens que le 13 juin. Le débarquement fut un succès. Les anglais défendant le fort s’enfuirent. Dans la foulée, Jacques Danycan prit le Manoir de Nettlestone. De là, il s’empara de l'abbaye de Ryde le 14. Mais les milices du Hampshire arrivèrent à Cowes ce jour-là. Sous leur pression, Jacques Danycan retraita vers Sandown Bay où il rembarqua avec son butin sous la protection des canons de sa flotte. Le 19, il appareillait pour les Iles anglo-normandes.


Carte de l'ile de Wight, 1724, http://www.iwhistory.com/

Lorsque la nouvelle arriva à Londres, Edouard IV crut à un débarquement en force des bretons et des français. Il mobilisa massivement ses troupes et ordonna à  sa flotte de la Manche de couper le ravitaillement des envahisseurs. Le 1er juillet, les 30 meilleurs navires de la flotte anglaise firent escale dans le port de Calais tandis que le roi d’Angleterre arrivait à Cowes où il réorganisa la surveillance des côtes de l’ile. Edouard IV pensa que le pire avait été évité. Au même moment, Yann de Ranrouët arrivait avec son convoi à l’Ecluse tandis qu’André de Lohéac, apprenant la sortie de la flotte anglaise, appareillait de St Valéry en Somme. les adversaires étaient prêts pour la seconde manche.
 


 

samedi 22 juin 2013

1474. Ep2. Chroniques du duc de Bretagne. partie II.

 

François II passa une grande partie de l’année à régler des conflits administratifs entre Pierre Landais et Guillaume Chauvin. Il effectua pourtant trois déplacements notables cette année-là. Le premier d’entre fut un court voyage en février à St Malo durant lequel il présida le premier conseil de guerre du duché et distribua les pouvoirs entre les membres. L’Amiral y siégeait de droit et comme président en l’absence du duc tandis que le Maréchal de Bretagne ne devait y tenir que la seconde place. Il faut noter la présence de Jacques Danycan, gouverneur des iles anglo-normandes et que le duc invita comme représentant des corsaires. Il avait été appelé en raison de sa réputation grandissante et parce que François II voulait l’utiliser pour ses relations avec les bourgeois de ses ports. Pour la première fois, le Duc et ses officiers tentèrent de définir une stratégie commune pour maintenir la suprématie qu’ils avaient obtenue dans la Manche. La flotte qui s’était agrandie d’une dizaine de navires devait terminer la généralisation du gréement portugais et renforcer ses dépôts dans les villes de Morlaix, St Malo et Port-François. Il la chargea d’escorter les convois de marchands vers les Flandres et de patrouiller la Manche jusqu’à Calais. Il demanda aux corsaires de mener la course en Mer d’Irlande et au large du Cotentin. Lors de ce conseil de guerre fut aussi décidé de mener une enquête sur les fortifications littorales. Les Bretons pouvaient perdre l’initiative en mer et la faiblesse des défenses inquiétait Quelennec le Vieux. De même, François II demanda au Maréchal de Rieux de procéder à une revue des fortifications de la Marche de Bretagne et de planifier leur rénovation.


La production textile liée au Lin et au Chanvre en Bretagne à la fin du XVè siècle.
Le second déplacement du duc se fit à Port-François. Il y présida au lancement de deux caraques de guerre qu’il fit nommer du nom des archanges Gabriel et Raphaël. Il les confia à Yann de Ranrouët qui les emmena immédiatement à St Malo puis à St Valéry sur Somme. Le duc resta un certain temps dans le Vannetais avec Jean de Rohan. Ils discutèrent des réformes économiques et de leurs implications sur la stratégie de la Bretagne. Le duché devait maintenir ouverts la Manche et le golfe de Gascogne à son commerce pour préserver les routes maritimes du Lin. Avoir une marine était devenu une nécessité et François II devait être capable de l’entretenir seul sans l’apport annuel des écus de Louis XI. Il fallait donc que le duc augmente ses revenus dans les années à venir. La France en paix arrêterait de financer une flotte bretonne qui comptait quarante navires de guerre. François II accepta donc de développer les proto-industries et de favoriser les éléments novateurs en agriculture. Réaliste, il adopta les plans de Jean de Rohan pour renforcer ses finances. Une seconde fois, il proposa le mariage de son fils avec la petite Françoise de Rohan. Le Comte, cette fois, ne refusa pas. N’ayant qu’une héritière et sa femme multipliant les fausses couches, il demanda le temps de la réflexion.
Le troisième déplacement était attendu depuis longtemps par les Bretons. Le duc convoqua les Etats de Bretagne à Vannes et s’y rendit après les moissons. Il avait décidé de les réformer. Pour la première fois, il demanda la rédaction de Cahier de Doléances. De plus, Les députés des deux ordres séculiers devaient être élus par évêché ou par cité. Seuls, les comtes, les évêques et les maires siégeaient de plein droit. Or, le retour des Bandes en Bretagne après la seconde guerre de Bourgogne avait changé la donne politique dans l'état de la noblesse. Cette année-là, elle se divisa entre deux partis, la Noblesse Mercantile et la Noblesse Féodale. Les vétérans des Bandes et la noblesse littorale voulaient imposer une diminution des obligations de l’honneur nobiliaire pour profiter un maximum du commerce. L’entrée de cette minorité aux Etats permit de renforcer la position du Tiers dans les débats qui demandait moins d’impôts mais aussi plus de libertés commerciales. François II trancha en faveur de l’application totale des réformes de Rohan dans le duché. La forte pression du Duc, de leurs vassaux et l’influence grandissante de Jean de Rohan permirent de rallier les grands féodaux à ce programme. Mais ils firent opposition à toute nouvelle dérogation au statut de noble. Le duc obtint un recensement de la population qui devait se dérouler sur quatre ans et permettrait de réévaluer les revenus du duché. Il ordonna que dans toutes les paroisses soit tenu un registre des baptêmes, mariages et enterrements ainsi qu’un état des Franc-archers, avec leur âge et leur équipement. Enfin, il annonça que dorénavant, la moitié de sa part perçue sur les contrats des Bandes serait dédiée à la rénovation des fortifications de la marche de Bretagne.
Jean VI de Bretagne, âgé de 11 ans commença des études approfondies. Un maître d'armes vint à Nantes et le suivit toute l’année. En été, il fut confié à des représentants des Bandes qui devaient lui apprendre la guerre nouvelle. Enfin, il assista aux Etats de Bretagne et à quelques Grands Conseils où sa concentration fut remarquée. Jean grandissait et François II nota son enthousiasme pour toutes les choses nouvelles, pour la marine et l'artillerie, mais aussi l'art et les langues.
 

Portrait de jeune homme de la Renaissance par Boticelli, 1483.

 


vendredi 21 juin 2013

1474. Ep1. L'araignée tisse sa toile.



Château d'Amboise où fut élevé Charles VIII
Résidence royale dont Louis XI préféra ne pas trop profiter.
L'Universelle Aragne est le surnom qu’il laisserait à la postérité, se dit-il en lisant le rapport qui venait de lui parvenir d’Irlande par un des premiers marchands venus sur le continent. Louis XI se trouvait à Amboise en famille pour l’épiphanie. Son fils y résidait. Mais le roi trouvait sa présence déstabilisante. Il regarda par la fenêtre et pensa que Charles grandissait comme grandissait sa puissance. Ses actions diplomatiques de ces dernières années avaient engendré une alliance encore fragile mais qui s'affermissait de jour en jour par les coups d’épingles qu’elle donnait à ses adversaires. Si les Bretons n’avaient remporté qu’un succès partiel sur l’Angleterre, ils se renforçaient et les Irlandais se lançaient toujours plus nombreux dans la guerre de course. Une Angleterre occupée lui donnait le temps et les moyens pour intervenir ailleurs. Il décida de renforcer son soutien aux Suisses et aux Alsaciens qui se battaient dans les montagnes du Juras et dans les Vosges. Il avait d’ailleurs envoyé Pierre du Pont–L’Abbé dans cette région à la tête des bandes de Léon et de Cornouailles. Les Suisses demandant des artilleurs et des cavaliers, Louis avait monté les Bretons à ses propres frais et recruter des artilleurs à Lyon. En plein hiver, le baron du Pont-L'Abbé  avait lancé des raids profonds en Franche-Comté pour menacer les lignes de communication des forces Bourguignonnes. Pendant ce temps à l’est, les Suisses avaient dégagé l’ensemble des villes de Haute-Alsace et du Brisgau. En pleine révolte contre le duc de Bourgogne, les cités avaient accueillis avec joie leurs libérateurs et décidé de se gouverner elles-mêmes. Le duc d’Autriche envoya des hérauts pour en reprendre le contrôle, mais trouva porte close. Les villes avaient refusé en bloc. Malgré les réclamations de Sigismond, Louis XI continua pendant l’hiver à soutenir les prétentions des Alsaciens et l’expansionnisme suisse qui ne pouvait se faire qu’au détriment des Autrichiens, des Bourguignons ou des Savoyards. Enfin, il avait réussi à passer une alliance avec l’Empereur. Frédéric III empereur du St Empire Romain Germanique rassemblait une armée dans les villes rhénanes pour dégager Neuss que le duc de Bourgogne assiégeait depuis 6 mois. Il lui avait fourni quelques subsides mais les finances impériales étaient faibles et le recrutement lent. Louis XI hésitait beaucoup. L’année allait être décisive et il voulait séparer Bourgogne et Angleterre. Pour cela, il devait renforcer ses garnisons en Picardie ainsi que les moyens à la disposition des Normands et des Bretons. La France allait s’engager sur mer.

 Il était perdu dans ses pensées quand sa fille Anne arriva. Elle avait 13 ans et manifestait déjà un grand sens politique. Elle fit sa révérence et s’éloigna pour jouer avec son frère Charles. Elle savait déjà qu’il ne fallait pas le déranger quand il réfléchissait. Il soupira et se dit qu’il n’avait qu’à espérer que Charles aurait l’esprit aussi agile. Elle avait été fiancée à Nicolas d'Anjou mais celui-ci était mort l’année précédente. Il devait lui trouver un autre parti qui servit la cause française. Le roi hésitait entre le jeune Jean VI de Bretagne de 11 ans et Pierre de Beaujeu, un des plus grands seigneurs de la cour de France de 36 ans. Un mariage avec les Bourbons permettrait de fidéliser cette grande famille du royaume tandis qu’une alliance matrimoniale avec la Bretagne ne ferait que cimenter une alliance déjà existante. Le duc de Bretagne exigerait une dot en territoires et Louis ne voulait céder aucun parcelle de son royaume. Il regrettait encore la perte de Noirmoutier. Il faudrait qu’il consulte ses conseillers mais l’alliance des Bourbons lui paraissait plus stratégique car Pierre de Beaujeu, duc de Bourbon possédait des territoires importants en plein centre du royaume. De plus, Louis était mécontent de la prise des îles anglo-normandes par les Bretons. Il les considérait relevant du duché de Normandie et voulait les contrôler. Il aurait alors une monnaie d’échanges avec l'Angleterre et il pourrait peut-être obtenir la paix d'Edouard IV, ou au moins une trêve qui lui permettrait de s’occuper enfin du Téméraire.


Mais pour cela, il devait d’abord sécuriser ses flancs et enfoncer un nouveau coin dans les états bourguignons. Il espérait le retour rapide de Commynes pour qu’il fasse basculer le jeune René de Lorraine dans son camp. Si celui-ci fermait ses routes et ses forteresses au Téméraire, les terres du sud de l’état bourguignon seraient bonnes à prendre. Charles ferait tout pour conserver ses territoires ancestraux. Mais, si la France avait la Lorraine, les Suisses, les Alsaciens et les Bretons de son côté, elle n'aurait aucun mal à s'en emparer. Louis XI regarda son fils et sa fille puis se leva et se dit qu'il allait jouer ces deux pions avec le plus de soin possible.

 

jeudi 20 juin 2013

1473. Ep3. Galère de malouin.

Le château de Montorgueil,
résidence du gouverneur des iles anglo-normandes.

Jacques Danycan détesta dès qu'il la vit la galère de l'Amirauté. Elle tenait mal la mer, ne s'écartait jamais des côtes plus d'une nuit et elle puait atrocement. Il soupira et voua le Vieux aux gémonies.  En effet, Quelennec le vieux l'avait convaincu de servir le duc en échange des plans des nouvelles caraques de l'Amirauté. Le vieil amiral avait monté de toutes pièces une opération dont il avait eu l'idée en voyant arriver la Notre Dame du lac à Nantes. Se sachant trop âgé, le Vieux l'avait contacté car il voulait un marin adepte des coups de main audacieux. Jacques Danycan regardait les hommes qu'on lui avait confié. Peu étaient Malouins mais tous ramaient avec confiance. Jacques lui se demandait encore ce qu'il était venu faire dans cette galère. Seul, le bruit des avirons brisait le silence de la nuit. Les bretons avaient embarqué tous les pilotes et pêcheurs volontaires de la baie du mont et les avaient dispersés deux par deux sur chaque navire. En cette nuit de la St Jean, les 10 navires de sa flotte stationnaient à Cancale. Seule, la galère était partie dans l'obscurité. Jacques  n'espérait qu'une chose : que les insulaires aient fêté suffisamment l'arrivée de l'été. A l'entrée de la baie, il fit passer sa dernière consigne à ses rameurs et à ses 100 franc-archers. Tous ne portaient que des armures de cuir. Seuls les casques avaient été autorisés. A bord, tout le monde retint son souffle lorsqu'ils aperçurent les contours de leur objectif dans les ombres de la nuit. Il demanda deux derniers coups aux rameurs puis laissa le navire courir sur son aire. La galère s'enfonça dans la vase. Les rameurs laissèrent là leurs avirons pour leurs armes tandis que Jacques Danycan sautait dans la baie de la proue. Il avait de l'eau jusqu'à la taille. Il progressa lentement et difficilement puis dès qu'il eut pied sur du sable, il se mit à trottiner. A sa suite, Le groupe de tête traversa la rangée d'habitations sans s'arrêter. Jacques s'essouffla à escalader la pente derrière le village. Savoir qu'on doit frapper comme la foudre est simple, le faire et en silence relève de la gageure. En ahanant, il atteignit le sommet et courut vers la citadelle. A bout de souffle, il dégringola dans le fossé puis escalada la roche surplombée par la muraille.
Au moment où il atteignit la porte, l'alarme retentit. C'était maintenant du quitte ou double. Soit ils réussissaient, soit ils en avaient pour deux à trois mois de siège et quelques centaines de morts. Heureusement, il avait deux as dans ses cartes, deux pétards qui furent promptement placés contre la porte. Lorsque l'explosion eut retenti, il respira deux fois profondément et s'élança épée au poing en hurlant à pleins poumons  "St Malo Bretagne!". Les dix hommes de son groupe tombèrent sur la garde à moitié réveillée, à moitié sobre et à moitié vêtue comme un ouragan que rien n'arrête. Ils dégagèrent la tour de garde puis s'élancèrent de salles en salles, tuant et étripant tous les hommes qui ne portaient pas brassard noir. Ils furent vite rejoints par les franc-archers qui submergèrent les défenseurs de l'enceinte extérieure en vingt minutes de combats furieux. Seul, le donjon résistait encore. Ennuyé, Jacques ordonna à son second d'aller chercher renfort, pavois et pétards à la galère. Il essaya de parlementer mais les archers anglais lui décochèrent une réponse tout à fait explicite. Une heure plus tard, l'assaut reprit et débordé par le nombre, le dernier carré de défenseurs de rendit en fin de matinée. Comme d'habitude, on trancha les pouces des archers et on fit prisonnier les nobles pour les rançonner. A midi, le pavillon breton flottait sur la tour du château de Gouray quand le reste de la flotte arriva. Jacques passa le reste de l'été en coups de main, négociations et démonstrations  de force. Toutes ces opérations furent grandement facilitées par la Notre Dame du Lac que Jacques Danycan appréciait de plus en plus pour ses capacités de débarquement.
 Fin août, les îles anglo-normandes s'étaient rendues les unes après les autres et les corsaires anglais capturés ou enfuis de l'autre côté de la manche. Jacques Danycan lança ses Malouins en une croisière d'automne sur le littoral anglais. Mais ils n'eurent que peu de succès. De retour à St Malo, il commanda une caraque de guerre et apprit sa nomination comme gouverneur de Jersey avec tout pouvoir pour utiliser le revenu des îles à la guerre de course.


1473. Ep6. Lord of Ireland

Cathédrale St Patrick de Dublin.
Extrait de la conférence de F.Duby sur la naissance de l'état moderne.

La Saint Patrick fut le  tournant diplomatique de l'année. Malgré la relation qu'en a laissée Philippe de Commynes qui nous présente l'incroyable session parlementaire de cette journée et les cérémonies qui en découlèrent, la réussite d'Henry Tudor reste mal connue car on ne sait que peu ou pas de choses sur les négociations personnelles qui se sont déroulées avant le premier Parlement de l'Irlande. Pourtant, ce succès renversa la situation géopolitique dans le nord-ouest de l'Europe.
La première réussite d'Henry Tudor est d'avoir rassembler en un seul endroit des groupes sociaux très hétérogènes. En effet, dans la cathédrale de St Patrick de Dublin, se trouvent ce jour-là, des membres de la noblesse, du clergé et de la bourgeoisie. Rien de plus normal dans la société médiévale, me direz-vous ! Mais, si on rentre dans le détail, la situation se complexifie à l'extrême. Prenons tout d'abord ce que nous appellerons la noblesse irlandaise. Elle se divise en deux catégories distinctes. La première est celle des clans d'Irlande dont fait partie le roi de Desmond du clan MacCarthy. Elle suit la loi irlandaise, la Brehon Law et elle accède au pouvoir et s'y maintient autant par hérédité que par la reconnaissance du clan. A l'inverse, la noblesse irlando-anglaise suit les règles de la féodalité et même si elle parle gaélique, ses représentants comme le comte de Kildare maintiennent leur pouvoir par des liens de vassalité typiques du moyen-âge, des hommages-liges. On note en plus de cette différence les divisions classiques entre haute et petite noblesse, entre riches et pauvres et entre puissants et faibles. Or, Henry Tudor rassemble les représentants de la noblesse de Meath, Leinster et Munster. Philippe de Commynes ne mentionne qu'en passant quelques petits nobles de l'Ulster et il souligne  l'absence de ceux du Connaugh. Henry Tudor réussit donc le tour de force de rassembler la noblesse du sud et de l'est de l'Irlande.
 Il obtient aussi l'appui des éléments les plus prestigieux du clergé irlandais. Évêques et Abbés des grands monastères d'Irlande sont là. Ils espèrent du jeune Tudor, outre le respect de leurs pouvoirs, la protection des biens de l'Eglise. La turbulence des rapports entre les différentes factions irlandaises rend problématique le maintien de l'ordre et de la paix civile. Même si églises et monastères sont peu visés par ces groupes, les pillages et les vols restent fréquents et endommagent ces centres de pouvoir, de richesses culturelles et économiques que sont les abbayes et les évêchés irlandais.
Enfin, les villes se partagent aussi en deux groupes. Les villes fondées par les vikings comme Limerick se distinguent par leurs institutions de Dublin, ville à l'origine de culture nordique mais où l'influence anglaise l'a emportée depuis longtemps. L'importance du commerce et la vie urbaine maintient une certaine unité dans ce groupe qui a augmenté son pouvoir depuis la réouverture des échanges avec le continent. Si les villes de l'est sont les premiers acteurs de la guerre de course irlandaise, toutes se rendent compte que jouer les Tudors leur permettra de contrer le pouvoir des seigneurs voisins et d'obtenir une meilleure protection.

Si sa première victoire est d'avoir rassembler tous ces groupes, Henry doit les unir derrière lui. C'est là que les relations personnelles de Jasper et Henry vont entrer en action. Premièrement, Louis XI fournit cette année-là un soutien financier plus important évalué à 30000 livres. De plus, il finance les mercenaires bretons qui vont rester quatre ans en Irlande et, enfin, il envoie un des plus grands diplomates du siècle, Philippe de Commynes. Pour le roi, cette aide a surtout pour but de maintenir la combativité des Tudor dans la guerre civile anglaise. Or, Commynes va utiliser ces finances pour renforcer l'influence des Tudors sur l'Irlande. Il voit plus loin que Louis XI et sait qu'un nouvel État menace bien plus l'Angleterre qu'une bande de corsaires retranchée sur l'île de Man.  Il épaule donc la tentative des derniers Lancastres. Deuxièmement, Jasper Tudor, maitre de l'île de Man dont la réputation de chef de guerre est bien établie, est ami avec Gerald Fitzgerald de Kildare et il a obtenu en janvier la main d'une des filles du comte. Enfin, Henry Tudor détient un nombre important d'otages des clans du Thomond. Il les envoie en Bretagne et en France début mars. Hors de portée de leur clan, ils vont être éduqués dans les  cours de Nantes et de Paris. Henry espère en faire ses futurs officiers.

Présent lors du 1er Parlement à titre d'observateur, Philippe de Commynes nous a transmis le discours de Gerald de Kildare devant l'assemblée. Cette intervention présente le jeune Henry comme un roi mais aussi comme un Irlandais de cœur. Puis en gaélique, Gerald fait hommage-lige à Henry le reconnaissant comme son seigneur et de facto comme le seigneur d'Irlande dont il n'est que le délégué. En retour, Henry reconnait Gerald comme son vassal et le nomme Chancelier et garde des sceaux de l'Irlande. Henry répond en Irlandais au serment de vassalité. Jasper Tudor suit alors son ami et prête hommage dans la même langue. Henry lui donne l'office d'amiral d'Irlande et le gouvernement de l'île de Man. Le troisième personnage et le plus surprenant à rendre hommage est, bien sûr, Tadgh Liath MacCarthy du Desmond qui est sur le champ nommé maréchal d'Irlande. Enfin, par le droit du vainqueur et parce qu'il a obligé nombre de chefs de clan à lui rendre hommage l'année précédente, Henry Tudor annonce la réunion au domaine de la Seigneurie d'Irlande du Thomond (territoire des O'brien), des cités de Waterford, Limerick et Dublin qui obtiennent le maintien de leurs chartes urbaines ainsi que le règlement de l'héritage de John Butler, 6th Earl of Ormond en sa faveur. Allié des Yorkistes, celui-ci n'a pas de descendant et vaincu en 1472, est maintenu en résidence surveillée. Il s'agit d'une confiscation déguisée car le comté aurait du revenir à son frère Thomas. Dernier des grands nobles du sud, le comte de Desmond prête serment. Il a été encouragé financièrement par Commynes et par le fait qu'il conserve le contrôle de Cork.

La chronique de Commynes, dont ce passage est devenu un classique de la littérature nationaliste irlandaise, ne parle ni de critique ni d'opposition pendant cette assemblée. Mais si elles ont existé, Henry Tudor les étouffa dans l'œuf  en présentant la tête du roi du Thomond qu'il a exécuté ce matin-là. Enfin, il reçoit la reconnaissance  de la France par l'intermédiaire de Philippe de Commynes qui en prend seul l'initiative comme l'a démontré J.Heers dans sa biographie de Louis XI. Alors et alors seulement, l'ensemble de l'assemblée le reconnait comme Seigneur de l'Irlande. Henry Tudor établit ainsi sa suzeraineté sur tout le sud. Il lui reste à la maintenir, à soumettre le nord et à obtenir la reconnaissance papale qui seul peut officialiser son titre.


L'Irlande avant les Tudors.
Le Pale est le seul territoire contrôlé par les agents du roi d'Angleterre.


mercredi 19 juin 2013

1473.Ep5. La bataille de Spithead.


Représentation de la fin de la Notre-Dame de Daoulas lors de la bataille du Spithead. Elle porte la croix noire de Bretagne tandis qu'a l'arrière-plan brûle un navire anglais portant la croix rouge de St Georges. 


En la fin d'après midi du 10 juillet, les 30 navires anglais approchèrent par l'est de l' embouchure de la Solent. Ils avaient profité du vent estival qui soufflait de l'est depuis deux semaines pour venir de la Tamise. Cette escadre devait se réunir aux 20 bâtiments de Portsmouth. Sur l'île de Wight, à la pointe de Spithead, le roi Edouard IV observait ses fiers et beaux navires manœuvrer pour entrer dans l'embouchure quand un de ses suivants déclara qu'il voyait au sud, une seconde flotte progressant vers le nord. Edouard IV assista impuissant à l' attaque de la flotte bretonne. L'avant garde de Yann de Ranrouët s'enfonça au beau milieu de la flotte anglaise en faisant hurler ses canons. Les caraques de guerre sur deux lignes formèrent un môle destructeur qui ralentit les plus lents et vulnérables navires anglais. Peu après, André de Lohéac referma la nasse. Poussés par le vent vers les bâtiments de Yann, les Anglais étaient coincés entre la côte  et les deux escadres bretonnes. L'avant-garde anglaise tenta de faire demi-tour. Mais la marée montante et le vent d'est l'entraîna dans la Solent malgré les efforts des marins. Les Anglais firent face et se battirent bravement malgré leur infériorité numérique et leur désavantage technique. Les boulets de fer bretons faisaient des ravages sur les ponts et blessaient nombres de combattants avant les abordages. Quand les navires de Ranrouet se dégagèrent, ils emmenaient avec eux deux navires anglais. André de Lohéac n'en captura que six. Cinq bâtiment de sa majesté réussirent à s'échouer. Le reste coula par le fond car Yann fit tirer sur les coques dès le début de la bataille. Les pertes bretonnes se chiffraient à trois caraques et 500 hommes. Sur la côte, Edouard IV impuissant comptait ses pertes et arriva à la conclusion que sa flotte ne comprenaient plus que 28 bâtiments dans le port de Portsmouth. Pour une fois, sa chance n'avait pas été au rendez-vous.
André de Loheac renvoya ses prises et les navires les plus abîmés à St Malo sous les ordres de Ranrouët. Le 12 juillet, l'amiral canonna les navires échoués pour provoquer une sortie anglaise qui ne vint pas. Puis, le vent passant à l'ouest, il mit le cap au sud, laissant deux caravelles surveillées la flotte. Il fila sur Barfleur où les normands et le roi de France pouvaient lui fournir les boulets, la poudre et le ravitaillement dont il avait grandement besoin. Le 3 août, il repartit vers le nord pour bloquer les anglais. A St Malo, la cité entière accueillit l'escadron de Yann de Ranrouët et l'acclama depuis les remparts. Les prises furent mises en chantier et les caraques ravitaillées. Ses six bâtiments reprirent la mer le 16 août pour une croisière en mer d'Irlande.
Edouard passa la fin juillet à réorganiser sa flotte et à tenter de découvrir l'origine de la victoire bretonne. Les boulets en fer qui furent récupérer sur les plages lui donnèrent l'information nécessaire.  En août, il tenta quand même d'envoyer ses navires vers la mer d'Irlande mais les bretons étaient déjà de retour. Un seul escadron de dix bâtiments réussit à se glisser jusqu'à Plymouth. Si bien qu'en septembre, la flotte anglaise était éparpillée de Bristol à Portsmouth et les 100.000 livres du parlement étaient dépensées. Edouard IV n'avait plus un sous alors que son frère Richard en demandait pour repousser les raids écossais et qu'il devait lancer la production de boulets métalliques. Quand il apprit la chute des îles anglo-normandes et l'évolution de la situation en Irlande, il envoya des émissaires au Téméraire pour obtenir l'aide de sa flotte.

mardi 18 juin 2013

1473. Ep4. Harcèlement.



Oriflamme des navires bretons à partir du XVe siècle.

"Hey du Pont ! Le Tugdual bat drapeau bleu. Il vire lofe pour lofe ." cria la vigie du St Michel. Les voilà, enfin, pensa Yann de Ranrouët. Il regarda son pilote Philippe Cartier appelé aux postes de combat. Ses franc-archers revêtirent leur plastron et coiffèrent leur salade puis prirent position sur les deux châteaux du navire. Au moment où il entendit les premiers coups de canon, la St Anne vira plein ouest. Elle allait prévenir Lohéac. Le vent était à l'est depuis deux jours et les bretons avaient eu du mal à tenir leur position. Pendant une demi-heure, Yann laissa filer son groupe au sud-est. Puis, il vira et vogua au nord-ouest. Au grand largue, les deux caraques prirent de la vitesse et de la gîte. Enfin, la vigie annonça des voiles, une mer de voiles, trente navires voire plus. Prenant son porte-voix, Yann hurla au St Yves de s'aligner sur sa poupe et de le suivre. Lorsqu'il vit la flotte anglaise, il fit venir son chef canonnier et celui des franc-archers et il donna une dernière fois ses instructions.
"Messieurs, on va frôler cette masse de voiles au plus près. On ne va pas y rentrer et on va délivrer une seule bordée sur un seul navire. Je veux que tout tire en même temps. Canons, couleuvrines, arbalètes et arcs doivent tirer au même moment."
Il fut interrompu par la vigie qui hurlait :" le Tugdual et le Corentin file pleine ouest devant la flotte anglaise. Le Pol et le Guénolé arrive du sud-est. Pas de trace de la lokmaria. Le groupe de tête des anglais a les voiles qui fasèyent.
- Messieurs, il est temps de rejoindre vos postes. Que St Michel  soit avec nous !"
Les deux caraques arrivèrent par les trois-quarts arrières de la flotte. Ils essuyèrent des tirs d'arcs et de couleuvrines de faible calibre. Puis Philippe Cartier mit la caraque vent arrière et prit un cap qui lui permettait de s'approcher d'un navire au plus près. Le chef canonnier fit ouvrir les sabords lorsqu'ils rattrapèrent une grosse nef battant pavillon à croix rouge. Les archers anglais tirèrent plusieurs fois sur le gaillard d'avant, sans succès car les bretons étaient accroupis derrière la coque. Yann observa un moment ses adversaires puis quand les deux navires furent parallèles, il cria et l'enfer se déchaîna. Les 12 boulets du St Michel ravagèrent le pont de la nef puis les archers lâcherent leur volée qui s'écrasa sur son château arrière. Immédiatement, Yann ordonna de virer au sud-ouest, juste avant qu'un archer ne le tire à l'abri du bastingage. Une pluie de flèches s'abattit sur la poupe. La caraque prit son nouveau cap tandis que résonnaient les canons du St Yves qui martelèrent la même cible. Ranrouët se releva et aperçut la nef qui abattait désemparée. Philippe Cartier prit alors la parole :
- J'ai cru que le St Michel allait partir en morceaux. En tout cas, ça marche. La nef est foutue.
- Pas tout à fait ! On a tiré trop haut.
- Vraiment ? Vous avez remarqué qu'aucun navire anglais n'a de voile latine ? Nos navires sont meilleurs, plus rapides et plus agiles. Je suppose qu'on refait la même manœuvre ?
- Oui, une fois, avant la nuit. Plus, si on peut.
- Au fait, z'avez qu'à tirer dans la descente du roulis. Vous toucherez la coque.
- Bonne idée, et on va prier que la prochaine cible n'ait pas non plus de bons canonniers.
Dans l'heure suivante, Yann fit recharger et passer la nouvelle consigne. Il décida de laisser tirer ses franc-archers dès qu'ils seraient à portée. La bordée avait déstabilisé beaucoup trop d'entre eux et il les voulaient efficace. Et c'est ainsi que se déroula les journées du 8 et du 9 juillet dans la manche.

lundi 17 juin 2013

1473. Ep2. La Manche en Feu.

Le St Michel partant de St Malo. (peinture de G. Hunt de la Mary Rose)




Les 9 navires de Yann de Ranrouët levèrent l’ancre de l’embouchure du Blavet, le 14 mars 1473. Le nouveau vice-amiral de Bretagne surveillait son escadre du château de son nouveau navire : le St Michel. Il regardait voguer la Notre de Dame du Lac qui hissait déjà sa grande voile latine. Elle allait faire route seule, le long de la côte de Bretagne pour profiter des points d’eau et de ports pour se ravitailler. Elle devait aller jusqu’à St Malo et passer sous le commandement d’un des corsaires les plus réputés de la ville, Jacques Danican. Elle était la seule des navires envoyés en méditerranée à ne pas servir sous ordres pendant cette croisière. Elle n’avait plus sa place dans son escadre dont les navires avaient été rénovés et grées pendant l’hiver en trois mâts à la portugaise. Canons et sabords avaient été installés et des boulets de fer étaient empilés dans les soutes. Les informations que Quelennec le vieux lui avait fait parvenir étaient alarmantes. L’Angleterre reconstruisait sa flotte et on comptait par dizaines les navires en chantier dans l’estuaire de la Tamise et de la Solent. Il remarqua que les lourdes caraques, si elles rendaient quelques encablures au St Michel et au St Yves, tenaient mieux la mer et le rythme de l’agile St Anne d’Auray. La combinaison d’une coque à carvel et du nouveau gréement donnait à son escadre une meilleure unité. Il en eut confirmation quand ils arrivèrent trois semaines plus tard en la ville de St Malo. Deux escadres étaient déjà au mouillage, celle des corsaires de St Malo et celle d’André de Lohéac. Le soir même, l’Amiral de Bretagne lui confiait quatre nouvelles caraques de guerre. Au St Michel et au St Yves, André de Lohéac ajouta deux caravelles armées de 12 canons, la St Anne d’Auray et la Lokmaria et quatre caraques de guerre neuves de 24 canons, le St Pol construit à Morlaix, le St Gwénolé de Brest et les St Tugdual et St Corentin, construits à Port-François. Le 17 avril, son escadron partit croiser au large de Calais et servir d’avant- garde à la flotte qui allait patrouiller plus à l’ouest. Ces deux escadres fortes de tous les navires de Bretagne comptaient 30 navires de guerre et devaient empêcher que les anglais ne reprennent aux français et aux bretons la suprématie navale dans la Manche. Pendant ce temps, Jacques Danican attendit impatiemment l’arrivée de la Notre Dame du Lac et mit les voiles pour la Normandie, le 10 mai avec 10 navires corsaires de St Malo.
Pavillon de l'Amirauté bretonne

St Valéry en Somme. Réunion des capitaines bretons à bord du St Michel.

« - Messieurs, les informations que nous ont fournis les agents du roi et de Rohan, sont alarmantes. Ces damnés godons ont rassemblé une flotte d’une cinquantaine de navires dans la tamise et un escadron de 10 bâtiments s’apprêtent à appareiller de Bristol. Nous laisserons les irlandais s’occuper de ces derniers. déclara le vice-amiral Ranrouët. Nous nous devons de conserver notre suprématie sur Manche.
- Je suppose qu’ils ont rénové leurs 30 vieilles barques et construit 20 nouvelles caraques, ajouta Quelennec le jeune. Si elles sont chargées de troupes, ça fait au moins 5000 hommes d’équipages et 5000 hommes de troupes. Comment font-ils pour ravitailler tout ce monde ?
- Leur objectif est soit très proche, soit ils vont longer la côte anglaise pour profiter des ports du sud de l’Angleterre. Sans ravitaillement, la Picardie est trop loin et je pense que l’escadre de Bristol n’a qu’un seul rôle : approvisionner la flotte si elle réussit à se glisser hors de la manche.
- Donc, leur objectif serait l’Irlande. Henry Tudor va adorer ça !
- Oui, mais ils ont un second objectif : Nous. Ils doivent se débarrasser de notre flotte et de nos corsaires s’ils veulent être tranquilles en mer d’Irlande pour assiéger l’ile de Man ou Dublin.
- Dés qu’on les aperçoit, il faudra prévenir l’amiral. Ma caravelle est là pour ça. Elle est plus rapide que la St Anne. affirma le capitaine de la Lokmaria.
- André de Lohéac patrouille déjà dans l’ouest de la Manche, reprit l’amiral de Ranrouët. Nous devons ralentir la flotte anglaise et le prévenir de son passage du pas de Calais. Nous allons donc fonctionner différemment et former une ligne de patrouille de trois groupes. Du nord au Sud, St Tugdual et St Corentin seront sous les ordres de Quelennec puis St Michel et St Yves dont j’assurerai le commandement et enfin, St Gwénolé et St Pol fermeront la ligne dirigés par Hervé de Kerouadès. Les caravelles patrouilleront en avant et au nord de la ligne par alternance et une d’entre elles sera toujours avec mon groupe. Restez à portée de vue les uns des autres. Si vous voyez la flotte anglaise, hissez un drapeau bleu. Pendant le combat, ne vous engagez pas bord à bord. Harcelez- les ! On est trop faible pour leur barrer le passage. Tirez puis dégagez. Visez les coques. Coulez en quelques-uns. Ne montez pas à l’abordage ! On est là ni pour faire des prises ni pour prendre des prisonniers, on est là pour gêner, retarder et énerver cette armada. Filez si vous êtes débordés puis revenez et recommencez ! Messieurs, si vous n'avez pas de questions, alors... Buvons à la défaite des Godons.