samedi 8 juin 2013

1467-1475 : l'essor d'un prince marchand. Jean de Rohan.

En 1467, le jeune Jean II de Rohan atteignit l’âge de quinze ans. Son mariage avec Marie de Bretagne, sœur de Marguerite de Bretagne, femme de François II et ses riches fiefs de Rohan, Léon et Porhoët lui donnaient une place à part dans la noblesse bretonne. Premier vassal du duc de Bretagne, ses revenus annuels atteignaient 10000 livres et sans la naissance de Jean de Montfort-L’amaury, il aurait été héritier du duché. A l’âge de 14 ans, il avait parcouru l’ensemble de ses terres et reprit à son compte les projets de son père Alain IX dit le Bâtisseur. Il décida de doubler la taille des forges de ses fiefs et de favoriser le commerce des toiles de lin dans sa vicomté de Léon. Dés 1467, il y prit en charge l’entretien des ponts et chaussés et y abolit les péages qui ralentissaient et dissuadaient les échanges. Le comte diminua la corvée féodale et la destina à uniquement à l’entretien des routes et des ponts. Réduite à quatre semaines dans l’année, la corvée de routes était complétée par les travaux forcés de prisonniers de droits communs. Il s’engagea aussi dans des travaux portuaires pour accélérer les opérations de charge. Landerneau, Morlaix, Brest furent ainsi les premières villes reliées entre elles par des routes entretenues et les premiers ports équipés de quais en Basse-Bretagne. Ainsi, à l’aube des années 1470, un réseau routier cohérent et efficace incluant St Pol de Léon et Lesneven était contrôlé régulièrement par les agents du vicomte. Ceux-ci se chargeaient aussi de prélever les douanes comtales dans les ports et sur le pont de Rohan à Landerneau. Ces revenus douaniers doublèrent en trois ans et couvrirent la baisse des prélèvements féodaux traditionnels. Cette incitation aux échanges ainsi que l’autorisation de payer les droits féodaux en toiles de lin permit l’essor de cette production. Les Crées devinrent la 1ère activité commerciale de la vicomté de Léon et firent du Comte de Rohan, son premier négociant. Si la production était limitée en 1450 à 1000 pièces de toile de lin, elle atteignit les 2000 pièces en 1470 et 8000 en 1475. A l’aube du XVIè siècle, le comté produisait 10000 à 15000 toiles selon la clémence du printemps. L’économie du Léon bascula et devint basée sur le commerce.
Les techniques de tissage au Moyen-âge
La fin des péages permit aussi une petite révolution agricole. L’usage de l’engraissement par les algues se généralisa alors qu’il n’était usité que dans les villages littoraux. Dés 1475, on compte un ou deux goémoniers dans les registres paroissiaux des villages côtiers. La côte fort découpée du Léon se prêtait particulièrement bien à cette récolte car elle fournissait de nombreuses aires de croissance pour ces algues. Seules, les tempêtes empêchaient cette activité qui devint une ressource importante dans les nombreux ports de Morlaix à Brest. Les laminaires ou varech étaient d’abord étalées sur des claies ou sur le sol pour les laisser sécher au soleil et au vent. Elles perdaient ainsi leur sel, néfaste à la terre. Enfin, on les mélangeait à des déchets ménagés. Au bout de six mois, on pouvait étaler cette fumure sur la terre. Cela permettait d’économiser le fumier animal pour les potagers et les terres à lin tout en produisant mieux sur les terres à blés. Parfois, on alternait les deux fumures si on possédait suffisamment d’animaux. La plupart du temps, on alternait jachère et engrais aux laminaires. Cela donna un premier coup de pouce à l’ensemble de la production agricole du Léon et renforça le commerce des toiles de lin.
Séchage du Goemon à même le sol sur l'île de Batz.
Après les lourds investissements des années 1460s, Les revenus de Jean II de Rohan repartirent à la hausse en 1470. Une bonne nouvelle ne venant jamais seule, il devint père de Françoise de Rohan. Par ses prélèvements féodaux, Jean II de Rohan récupéra de nombreuses toiles dés 1469 et décida de les exporter. Il affréta son premier navire pour Lisbonne, Nantes et les Flandres en 1471. Le capitaine chargea des Crées à Morlaix, les échangea contre du sucre et des épices à Lisbonne, fit escale à Nantes pour troquer son sucre contre du vin. Puis, par la mer d’Iroise et la Manche, il atteignit Anvers où il vendit ses fûts et acheta des graines de lin et des draps qu’il revendit sur le chemin du retour. Ces voyages devinrent traditionnels dans les années 1470s pour les négociants de Morlaix et Jean II réalisa son premier voyage en 1472. 

Cette année-là est capitale dans la vie du comte de Rohan. Etonné par la prospérité des Flandres, le comte resta à Anvers de l’automne 1472 à l'été 1473. Il s’y informa abondamment sur la vie économique. Le système bancaire, les arts et les techniques agricoles le fascinèrent. Il y recruta des paysans hollandais qui apportèrent, dans le Léon, l’usage des plantes fourragères. Il embaucha aussi des liégeois pour travailler dans ses forges et dans les mines autour de Pontivy et Josselin. Ces artisans, anciens fondeurs de cloche, améliorèrent la fonte des canons et réussirent en 1474 à produire la première arquebuse bretonne, copie d’un modèle italien. A partir de cette date, les ateliers de Rohan se spécialisèrent dans le matériel de guerre et ils devinrent le principal équipementier des mercenaires bretons et du duché. Seules, les forges de Paimpont faisaient concurrence aux productions du Rohan, surtout dans les équipements de l’agriculture.

Complexe des Forges de Salles, vestige des forges de Rohan de l'ancien régime.
Enfin, en 1475, il installa à Blain un atelier des poudres où les ouvriers utilisaient le salpêtre des caves nantaises. L’apport du savoir hollandais en agriculture changea énormément la Bretagne. Les plantes fourragères relancèrent la croissance de la production des toiles. En effet, le lin épuisait rapidement les sols tandis que le fourrage et les fumures les engraissaient. De plus, l’élevage y gagna des bêtes plus résistantes et de la nourriture animale en abondance. Dans les années 1480s, les fermiers du Léon avaient tous changé leur assolement triennal en une rotation quadriennale (lin, blé, sarrasin, fourrage). L’accroissement des revenus permit une hausse des productions potagères et de l’élevage. Les landes et les monts impropres à l’agriculture, car battus par les vents, furent lentement reconquises par les hommes pour y faire paitre des troupeaux de plus en plus grands. Capable de mieux nourrir plus d’hommes, cette révolution commencée dans le Léon s’étendit d’abord dans le Tregor puis dans toute la Basse-Bretagne. Partie des campagnes, elle changea profondément la société bretonne au XVIè siècle.
En 1475, Jean II de Rohan était outre le vassal le plus riche de Bretagne, un négociant et armateur que les marchands de Nantes commençaient à prendre au sérieux. Ses revenus avaient plus que doublés et dépassaient les 20000 livres annuelles. Sa position sociale et politique avait changé. De jeune passionné qu’on écoutait par politesse, il devint un des hommes à courtiser et à copier dans le duché. Ses réseaux s’étendaient du Portugal à Anvers et il était souvent mieux informé que le duc ou son chancelier. Si bien qu’en 1476, le duc le nomma adjoint de Guillaume Chauvin et il le chargea de rassembler des informations politiques et techniques.
Représentation de Banquiers du Moyen-âge.

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