lundi 3 juin 2013

1470. Ep2. Louis, souviens toi de Picquigny !

Le mois de février vit l’arrivée dans la région picarde des forces de Charles le Téméraire. Ces 25.000 hommes étaient ceux qu’il avait rassemblés en novembre et qu’il avait dû rappeler en urgence. Alors que l’armée française tenait ferme dans la ville d’Amiens, le duc contourna la ville lentement et testa les forces françaises par de brusques engagements. Il se présenta devant Picquigny à la fin du mois. Dans l’est, Louis XI sécurisait les villes qu’il avait prises. Roye et Montdidier furent abondamment garnis de garnisons et de canons. L’armée royale campait sous les murs de Roye. Le roi ne voulait pas risquer son armée dans une bataille rangée et envoya des troupes ravager les Flandres. La ville de Picquigny s’était donnée au roi de France en Janvier et avait reçu comme garnison 1200 bretons du Léon et de Cornouaille. Ils étaient commandés par Pierre du Pont-L’abbé, baron du Pont et seigneur de Rostrenen. Comme Charles le Téméraire, cet homme était féru de chose militaire et comme lui, il avait lu Végèce et Xénophon. Présent à Picquigny depuis 2 mois, il n’avait pas laissé chômer ses hommes. Ils avaient renforcés les défenses, établis des abattis, enterrés des pieux en avant des douves qu’il avait fait curées. Il rassembla le maximum de grains qu’il put trouver et fit saler toute la viande qu’il put acquérir. Il fit travailler nuit et jour ses armuriers pour produire carreaux et flèches. Enfin, il monta une dizaine de ses mercenaires pour qu’ils lui servent d’éclaireurs et de messagers. Ils eurent peu de reconnaissances à faire. L’ost bourguignon était visible par les feux qu’elles déclenchaient sur son passage. Mais dés qu’elle fut en vue des murs de la ville, le baron renvoya ses cavaliers pour qu’ils préviennent le roi. Lorsque Charles se présenta devant la ville, ses hérauts furent accueillis avec courtoisie mais fermement repoussés. Le duc lança son armée à l’assaut ne s’attendant pas à une résistance importante dans cette petite ville. Sous une pluie de carreaux et de flèches, les bourguignons s’empêtrèrent dans les abattis, se blessèrent sur les pieux, se noyèrent dans les douves et arrivèrent à la porte. Ils s’attaquèrent à celle-ci avec des haches mais le baron fit s’écrouler une structure de madriers sur les attaquants, blessant les hommes et encombrant ainsi l’espace devant la poterne. Puis, il fit tirer trois couleuvrines contre le groupe le plus fournis d’assaillants. Les bourguignons refluèrent. Furieux par cette résistance, Charles le téméraire installa une partie de son artillerie dans la soirée et elle entra en action le 25 février. Le 26, la ville tenait encore malgré un nouvel assaut tandis qu’à Roye, le roi de France recevait le message de Pierre de Pont l’abbé, lui indiquant les dernières actions du Téméraire ainsi que ses prévisions sur le siège. Il pensait tenir dix jours.



Représentation du Siège de Picquigny. 

Le roi hésitait. Depuis Montlhéry, il ne cherchait plus à décider des choses par la guerre. Il n’avait aucune envie de laisser le hasard décider de son sort. En fait, Pierre de Pont-L’abbé le mettait face à un dilemme qu’il ne voulait pas résoudre. L’aragne était prise dans sa propre toile. Louis XI ne voulait pas échouer. Il voulait contrôler son succès dans les moindres détails. Il voulait vaincre mais sans miser, gagner sans parier. A contrecœur, il s’avança vers la cité à petites journées, s’assurant du ravitaillement, de la bonne marche de l’artillerie et protégeant son armée par de nombreuses reconnaissances. Si bien que le 1er mars, l’armée royale n’avait parcouru que 4 lieues sur les 12 qui séparaient les deux villes. Ce jour-là, le connétable de France Jean de Luxembourg revint de son raid sur Maubeuge et discuta de la situation avec le roi. Il demanda d’accélérer la manœuvre pour prendre à revers l’armée bourguignonne. Le roi accepta d’avancer jusqu’à Amiens. A l’abri de la forteresse, il pourrait compter sur les 10000 hommes d’Antoine de Chabannes. Cela lui donnerait un avantage numérique d’environ 8000 combattants. Le 3, l’armée arriva près de la cité. Antoine de Chabannes conseilla au roi la même chose que Jean de Luxembourg. Il fallait couper la retraite du Téméraire. Ce même jour-là, on apprit que Picquigny résistait toujours. Les bretons de l’armée royale le surent aussi. Le 4, comme chaque matin, le roi parcourut les rangs de son armée. Lorsqu’il arriva dans le camp des bretons, les regards le fuirent et un sourd murmure se leva, s’amplifia et parcourut la longue ligne des feux où se chauffaient les hommes à la croix noire. Les bandes grognaient. Le roi Louis XI enfonça son chapeau sur sa tête et partit au galop. Ce jour-là, l’armée marcha plus longtemps que les jours précédents. Des colonnes de fumée montaient dans le lointain. A l’aube du 5, l’armée royale n’était plus qu’à une étape de la cité picarde lorsqu’un cavalier arriva ventre à terre dans le camp royal.


Reconstitution du Siège de Picquigny. La croix rouge est celle de St André.
(medieval-siege-society.co.uk)

Extrait du spectacle nocturne organisé depuis 1990 par la Municipalité.
Dans la ville de Picquigny, des hommes gisaient ça et là. Tous avaient des croix sur le paletot. La croix noire se mélangeait à celle de St André. La poterne n’était plus qu’un tas de gravats. Les maisons qui l’entouraient avaient été abattues et transformées en redoute. Derrière une barricade de poutres et de blocs de pierres, deux couleuvrines piquaient du nez dans l’axe de la rue principale. Sur les toits, les arcs et les arbalètes reposaient contre les ardoises tandis que des faisceaux de piques se dressaient au coin des rues. Des hommes armés et hagards marchaient dans cet enfer de fumées et de poussières. D’autres attendaient crispés, appuyés sur un mur, une barricade ou une porte. Au château, un homme anxieux parcourait les derniers rapports qui lui étaient parvenus et tentait d’être sourd aux pleurs et aux cris d’agonie qui montaient jusqu’à sa fenêtre. La plupart des blessés, des mourants et des vivants portaient une croix sombre. Picquigny attendait toujours.
Le 5, le Téméraire repassa la Somme.

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