A Nantes, les invitations au mariage d’Anne de France et de
Pierre de Beaujeu parvinrent au duc début février. Il convoqua donc ses Etats pour
la mi-septembre et non la mi-aout. Marié à Gabrielle de Bourbon et allié du roi
de France, le duc était l’invité des deux familles. Une partie de son été
serait donc destinée à suivre les festivités du mariage tout en faisant sa cour
au roi de France pour obtenir quelques avantages financiers ou territoriaux. Le
duc n’était pas dupe. Cette invitation avait aussi forme de
convocation. Dans sa missive, le roi se réjouissait de revoir son allié, sa femme et de découvrir Jean, l'héritier de Bretagne. Louis XI profiterait de ce mariage, pour rassembler et consolider ses alliances. Le maréchal de Rieux et Pierre Landais l’informèrent que les festivités serviraient aussi à repérer et taire les mécontents à la cour de France.
Manifestation de la puissance royale, cette cérémonie serait aussi un gouffre
financier pour les familles nobles qui se devaient d’y participer et d’y apparaître sous leurs meilleurs atours. Les dépenses somptuaires que les nobles
devraient réaliser pour tenir leurs rangs permettraient au roi de découvrir les
ambitieux et les orgueilleux mais aussi de diminuer les réserves financières de
tous ses turbulents vassaux. De Lyon, Michel Landais avait d’ailleurs prévenu
son père que les marchands et les représentants des banquiers italiens étaient
devenus les coqueluches de la noblesse d’Auvergne et que l’or génois, florentin
ou vénitien changeait de main pour passer dans celles des drapiers et des tailleurs qui croulaient sous les commandes. Cet or invariablement revenait aux
représentants des cités marchandes qui fournissaient aux artisans et joailliers,
les brocards, les soies et les perles nécessaires à la confection des nouvelles
robes et des nouveaux pourpoints. La noblesse empruntait à tour de bras et
commandait sans compter pour embellir ses costumes de fêtes. Michel Landais
donnait aussi quelques vagues informations sur les opérations en Alsace que
René II de Lorraine avait ralliée à sa cause.
René II de Lorraine (reconnaissable à la croix de cette région) et ses piétons. |
Pierre Du Pont l’Abbé était bien plus précis dans ses
rapports au Maréchal de Rieux. Il y passait au crible les différentes phases de
sa campagne d'automne en Alsace et de ses raids hivernaux en Franche-Comté.
Accueilli à bras ouvert par les citadins rhénans, René II rassemblait une armée
sur les bords du Rhin. Il espérait passer à l’offensive en Lorraine au
printemps et libérer son fief à l’été. Sous les ordres de Pierre du Pont-l’Abbé,
Les cavaliers bretons avaient mené deux chevauchées en Franche-Comté. Utilisant
leur mobilité, ils passaient rapidement de vallée en vallée, surprenant les troupes
bourguignonnes, menaçant les châteaux et pillant les villages. Les garnisons
franc-comtoises éparpillées et réduites par les prélèvements de l’année
précédente, se terraient dans leurs fortifications et laissèrent Pierre du Pont-l’Abbé
battre la campagne comtoise en toute liberté. Dans sa dernière missive, il
informait le maréchal de ses succès et de développements inattendus dans les
cités rhénanes. Quelques mercenaires suisses y avaient entraîné les milices
urbaines tentant de leur donner un semblant de valeur militaire. Or, les
Alsaciens s’étaient pris au jeu et malgré le temps exécrable de la fin de
l’hiver, s’acharnaient pour suivre convenablement les ordres des vainqueurs de
Morat. De plus, les élites urbaines s’intéressaient de plus en plus au système
de gouvernement des cantons helvétiques tandis que le duc d’Autriche avait
toujours mauvaise réputation auprès des citadins. Malheureusement, le soutien
helvétique se faisait attendre car les cantons discutaient des suites à donner
à la victoire de Morat. Les cantons de l’est craignaient le retour du duc d’Autriche
et l’expansion de Berne tandis que ceux de l’ouest menés par les Bernois
voulaient définitivement écraser le Téméraire. Les débats se poursuivaient à
Zurich depuis la noël et étaient au point-mort. Des envoyés de Louis XI étaient
annoncés.
Lors du conseil de guerre du 27 mars, à Clisson, le nouveau Vice-chancelier
Jean II de Rohan présenta des informations venant de ses contacts à Anvers et à
Lyon. Le duc de Bourgogne avait parcouru ses fiefs pour obtenir des écus et
rassemblait dans le sud une armée. Il avait convoqué ses Etats de Bourgogne à
Dijon et leur avait tenu un discours fort patriotique et fort alarmant sur la
montée en puissance des Suisses et de leurs perfides alliés allemands, traitres
à leur duc. Les élites bourguignonnes avaient alors convenu de financer la
défense de leurs frontières à hauteur de 6000 livres tournois par mois et ils
demandèrent à Charles de fournir des capitaines à leurs garnisons et de
renforcer la Franche-Comté. L’armée qui se rassemblait à Salins n’était plus
aussi formidable que celle des années précédentes. Si les compagnies
d’ordonnance du duc étaient en nombre, elles restaient incomplètes. Piétons,
artilleurs et canons manquaient. Pendant l’hiver, le duc avait envoyé ses
lieutenants recueillir les fuyards de Morat. 6000 hommes se présentèrent qu’il
fallut rééquiper. Les nouveaux contingents de Flamands et de Picards tardaient
à arriver et les détachements, pour renforcer les garnisons franc-comtoises,
avaient affaiblis sa force principale ainsi que les troupes occupant la
Lorraine. Les diversions de Pierre Du Pont l’Abbé avait porté leurs fruits.
Enfin, le manque d’espèces irrita les mercenaires. Le capitaine Campobasso
exigea que le duc tienne ses promesses mais les boues de l’hiver retardaient
les transferts de fonds. A la fin février, de Bruges, Tommaso Portinari, le
représentant de la banque des Médicis, fit parvenir des lettres de change à
Pontarlier où Charles avait installé son armée pour surveiller les Suisses. Cette
arrivée calma les querelles d’autant plus que le duc promit une augmentation
des soldes. Mais cela coïncida avec l’annonce de la chute d’Epinal. Le 21
février, René II avait repris la ville vosgienne et s’efforçait d’installer des
troupes fidèles dans toutes les garnisons que les Bourguignons avaient
délaissées. Inexplicablement, le duc ne bougea pas.
Epinal au moyen-âge. source : http://patrimoine-de-lorraine.blogspot.fr |