La nouvelle année débuta par un événement heureux en la
cours de France. Louis XI fiançait sa fille Anne. Le vieux roi avait longuement
pesé le pour et le contre dans les multiples possibilités d’alliance qui lui
donnait cet enfant. Il avait choisi celle qui renforçait le plus le pouvoir
royal et qui n’accordait ni prestige ni finances à des puissances étrangères.
De plus, il avait sécurisé par cette promesse de mariage sa succession. Louis
se savait vieux. Un accident, un assassinat ou une maladie pouvaient le frapper
à tout moment. Cette cérémonie lui avait gagné le soutien d’un des clans les
plus puissants de la cour de France. Anne ne serait pas reine mais il espérait
qu’elle serait régente et qu’elle protègerait son jeune frère. Dans une longue
discussion, il lui avait expliqué les tenants et les aboutissants de cette
alliance et elle s’était inclinée de bonnes grâces. Le roi savait maintenant
avoir vu juste. Sa fille était une politicienne. Elle avait compris que
derrière les basses manipulations diplomatiques de son père se cachait une
volonté inébranlable de faire du royaume un roc qu’aucune puissance étrangère
ou intérieure ne viendrait ébranler. Elle avait adopté ses vues et le roi la
promit à un des hommes les plus brillants de sa cour, homme d’âge mur capable
de rivaliser avec l’esprit de sa jeune fille mais aussi de la soutenir dans la
défense du royaume.
Anne de France, âgée de 15 ans, lors de ses fiançailles, triptyque de Jean Hey. |
En effet, si les succès suisses avaient diminué la menace
bourguignonne et donc renforcé le prestige de la France, la politique
intérieure de Louis créait maints mécontentements dans la noblesse. Il
s’échinait à rogner leurs pouvoirs pour renforcer le sien. La grogne se
multipliait et ce qu’on disait, il y a 5 ans, dans les alcôves se disaient
maintenant ouvertement dans les salons des grands du royaume. Le roi empiétait
trop sur les droits de la noblesse, il était trop puissant, il exigeait trop de
services et donnait trop peu. Et surtout, il était vieux. Récemment, des
rumeurs avaient courus sur sa sénilité. Mais de tous les bruits, les plus
persistants étaient ceux qui faisaient état de sa vilénie, de sa rouerie et de
son manque d’esprit chevaleresque. Ses opposants attendaient sa mort pour profiter
d’une régence durant laquelle le pouvoir royal serait nécessairement affaibli. Heureusement,
ces fiançailles réunissaient la monarchie et la famille la plus riche de France.
Anne allait épouser un Bourbon, clan qui contrôlait l’Auvergne et qui pouvait
faciliter ou limiter les accès à la partie méridionale du royaume de France. De
plus, cette alliance permettait à Louis XI de renforcer sa position au centre
du royaume et de récompenser un de ses officiers les plus brillants : le
Sire de Beaujeu.
François II de Bretagne et Guillaume Chauvin avait longtemps
espéré que la fille de Louis serait promise à Jean. Si le duc et son chancelier
avaient fait des ouvertures sérieuses au sujet de ce mariage, Louis XI avait
toujours évité de répondre grâce à son génie de l’esquive diplomatique.
François II n’avait donc pas fondé de grands espoirs sur cette possible
alliance. Pourtant, cela le vexa et il
se souvint d’un coup de toutes les couleuvres françaises qu’il avait dues
avaler depuis deux ans. Malgré les promesses royales et le traité des
estuaires, le parlement de Paris tentaient toujours de s’immiscer dans le
affaires ducales tandis que les normands et les bordelais perturbaient
régulièrement le commerce breton par les estuaires français. Irrité, il décida
de ne pas renouveler l’alliance avec la France après la chute du téméraire et
d’attendre les ouvertures de Louis si celui-ci voulait prolonger leur entente.
L’échec de ses actions diplomatiques diminua l’influence de
Guillaume Chauvin à la cour de Nantes tandis que Pierre Landais devenait peu à
peu la puissance à courtiser. Rohan, les amiraux et les marchands soutenaient
ses efforts à l’intérieur du duché car il privilégiait l’essor économique et maritime
dans un but d’indépendance financière. Mais ils s’opposaient à sa volonté
d’indépendance politique. Tant que Louis alimenterait le duché en subsides, la
position des amiraux et des officiers des bandes ne ferait que se renforcer en Bretagne.
L’influence française restait grande, même si elle tendait à se limiter. En Bretagne, l’administration, l’agriculture, le commerce et les proto-industries continuaient à se développer et le duché gagnait en prospérité. Une partie de
la noblesse possédait des fiefs en France et en Bretagne. Leurs terres
bretonnes produisaient de plus en plus de richesses. A l’inverse, leurs seigneuries
françaises, écrasées sous les nouveaux impôts royaux et bloquées dans leur
développement par les coutumes françaises, devenaient des fardeaux pour leurs
finances. Alors que dix ans auparavant, ces hommes préféraient séjourner en la
cour de France, ils résidaient de plus en plus longtemps auprès du duc qui
certes avaient moins de possibilités de les récompenser mais où, la coutume
bretonne aidant, ils pouvaient profiter de plus d’opportunités économiques et commerciales.
Enfin, dans le duché, la surveillance était bien moindre que dans le royaume de
France où les agents officiels et officieux du roi reportaient à l’universelle
aragne tous les faits et gestes de ses vassaux. Ainsi, la noblesse
franco-bretonne changeait peu à peu et se désolidarisait lentement de la cour
de France d’autant plus que le duché devenait
un des laboratoires de la Renaissance. Le retour du fils de Pierre Landais
allait précipiter les choses.
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