Le long de la Loire, les cortèges de nobles progressaient
lentement dans la chaleur de l’été. S’ils étaient habituels dans cette région, leur
nombre frappa cette année-là les esprits du val. De l’est
venaient la famille des Bourbons et ses clients tandis que
l’ouest du royaume et le duché de Bretagne fournissaient maintes maisonnées aux
caravanes luxueuses. Parmi les fastueuses compagnies provenant de Lyon,
chevauchait Michel Landais à la tête d’une procession de mules et de mulets
chargés de lourds ballots de toiles. Ce défilé était escorté par un groupe de
mercenaires issus des bandes de Pierre du Pont-l’Abbé. Il devait rejoindre son
duc et son père en la cour de France et rentrer en Bretagne dans la troupe
ducale. A la St Jean, cette dernière
s’était arrêtée à Ancenis, le duc voulant y inspecter les travaux de la
forteresse. Jean l’héritier prit schémas et croquis des défenses et du
chantier. Cet intérêt pour la poliorcétique rapprocha père et fils qui s’arrêtèrent
dans tous les châteaux, forteresses, forts, fortins et maisons fortes jusqu’à Blois. L’état de la duchesse de Bretagne nécessitait ces arrêts. En effet, à
Angers, Gabrielle de Bourbon annonça officiellement sa grossesse. Tout à
son bonheur, le duc offrit tout au long de son parcours dons et charités mais
aussi agapes et banquets aux habitants du Val de Loire. Il dépensa sans compter au grand dam de Pierre Landais. L’arrivée des Bretons à Blois se
fit en grand apparat au son des bombardes, des cornemuses et des trompes militaires.
De fort bonne humeur, le duc n’en était pas moins déterminé à manifester sa
puissance et son rang.
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Scène de Tournois |
Louis XI l’attendait. Il avait séjourné à Blois depuis le
printemps. Ses intendants y avaient rénové les appartements et rafraichi la
décoration du château et de la ville. Aux moissons, tout était prêt. Les lices
et les pavillons étaient dressés dans les prés fraîchement moissonnés au bord du fleuve. La suite du
duc s’y installa tandis que celui-ci résidait dans des appartements que lui
avait réservés le roi. Aucun monarque d’importance n’avait fait le
déplacement. Seuls, les grandes familles de France étaient présentes ainsi que
quelques grands noms de la noblesse bretonne. Le mariage était une affaire de
politique intérieure chargée de renforcer le pouvoir royal, et non d’affirmer
la place de la France sur l’échiquier européen. Pourtant, Louis XI y accordait
une telle importance qu’elle intriguait la délégation bretonne. Le duc et ses
officiers savaient quels étaient les objectifs de louis XI mais ils ne
comprenaient pas où le roi voulait en venir. Pierre Landais trouvait que trop
d’argent était dépensé pour ce mariage. Anne
de France n’épousait pas un fils de roi, mais un baron. L'universelle aragne devait cacher
quelque chose.
Juillet se déroula sans encombre malgré les
habituelles disputes de préséance et de rang. Bretons et Bourbons tenaient le
haut du pavé dans la cour de Louis XI. La grossesse de Gabrielle de Bretagne
suscita, dans le clan bourbon, un regain d’intérêt pour le duché et Pierre
Landais réussit ainsi à passer quelques accords commerciaux avec la noblesse
auvergnate. Si la canicule qui débuta à la mi-juillet rendit les drapiers malheureux,
elle offrit d’abondantes opportunités aux marchands de toiles de lin. Lorsque
les dames de la cour découvrirent que Gabrielle de Bretagne faisait ample usage
du tissu du Léon dans la confection de ses chemises, elles passèrent de
nombreuses commandes auprès des marchands accompagnant la troupe ducale. Avant
la fin de l’été, la reine de France et ses dames de compagnie vantaient le lin
de Bretagne pour sa légèreté et sa fraicheur.
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Nobles à la Chasse. |
Mais c’est le jeune Jean qui intrigua le plus les Français.
Ils découvrirent rapidement que le jeune duc s’entraînait avec les mercenaires
bretons qui assuraient la garde du roi de France et qu’il préférait le champ de
manœuvre à la lice du chevalier. S’il faisait preuve du minimum de courtoisie
et de solennité nécessaire à la cour de France, la noblesse française considéra
rapidement qu’il avait un comportement singulier, inattendu et fort peu
respectueux des valeurs chevaleresque. Intéressé par les arts de toutes
sortes, l’héritier retrouva pendant son séjour à Blois son mentor Jean de Rohan
qui lui laissa l’accès aux manuscrits et aux machineries qu’il avait rassemblé
depuis le printemps. Il disparut ainsi pendant de longues heures chaque jour,
esquivant maints jeux, chasses et amusements de la cour. L’arrivée de Michel
Landais fut une véritable bénédiction pour le jeune Duc. Le jeune marchand revenait d’Italie avec une pleine caravane de nouveautés. Les bats de ses mules
déversèrent un trésor de statues, de monnaies, d’amphores antiques, de tableaux
italiens, de parchemins byzantins et de traductions latines. La sculpture romaine captiva la noblesse française et ducale. Mais elle laissa froide le
jeune héritier de Bretagne. Avec l’aide de son compère de Rohan, il récupéra un
inventaire de la caravane de Michel Landais et arracha au jeune commerçant
toutes les œuvres écrites grâce à un cassette lourdement garnie. Deux jours plus
tard, François II dut personnellement chercher son fils qui n’apparaissait plus
aux festivités proposées par le roi de France, ni ne répondait à ses
convocations paternelles. Ils eurent une longue conversation sur l’importance
de la diplomatie, sur le rôle d’une cour et sur celui d'un jeune héritier. Le jour du mariage, Jean de Bretagne
tint son rang de belle manière malgré les craintes de sa belle – mère. Le soir même,
il faisait son premier rapport à son père sur les informations qu’il avait
glanées. Il lui annonça que le Duc de Bourgogne assiégeait Nancy.