vendredi 25 octobre 2013

1476. Ep4. Bretons en la cour de France

Le long de la Loire, les cortèges de nobles progressaient lentement dans la chaleur de l’été. S’ils étaient habituels dans cette région, leur nombre frappa cette année-là les esprits du val. De l’est venaient la famille des Bourbons et ses clients tandis que l’ouest du royaume et le duché de Bretagne fournissaient maintes maisonnées aux caravanes luxueuses. Parmi les fastueuses compagnies provenant de Lyon, chevauchait Michel Landais à la tête d’une procession de mules et de mulets chargés de lourds ballots de toiles. Ce défilé était escorté par un groupe de mercenaires issus des bandes de Pierre du Pont-l’Abbé. Il devait rejoindre son duc et son père en la cour de France et rentrer en Bretagne dans la troupe ducale. A la St  Jean, cette dernière s’était arrêtée à Ancenis, le duc voulant y inspecter les travaux de la forteresse. Jean l’héritier prit schémas et croquis des défenses et du chantier. Cet intérêt pour la poliorcétique rapprocha père et fils qui s’arrêtèrent dans tous les châteaux, forteresses, forts, fortins et maisons fortes jusqu’à Blois. L’état de la duchesse de Bretagne nécessitait ces arrêts. En effet, à Angers, Gabrielle de Bourbon annonça officiellement sa grossesse. Tout à son bonheur, le duc offrit tout au long de son parcours dons et charités mais aussi agapes et banquets aux habitants du Val de Loire. Il dépensa sans compter au grand dam de Pierre Landais. L’arrivée des Bretons à Blois se fit en grand apparat au son des bombardes, des cornemuses et des trompes militaires. De fort bonne humeur, le duc n’en était pas moins déterminé à manifester sa puissance et son rang.
Scène de Tournois 
Louis XI l’attendait. Il avait séjourné à Blois depuis le printemps. Ses intendants y avaient rénové les appartements et rafraichi la décoration du château et de la ville. Aux moissons, tout était prêt. Les lices et les pavillons étaient dressés dans les prés fraîchement moissonnés au bord du fleuve. La suite du duc s’y installa tandis que celui-ci résidait dans des appartements que lui avait réservés le roi. Aucun monarque d’importance n’avait fait le déplacement. Seuls, les grandes familles de France étaient présentes ainsi que quelques grands noms de la noblesse bretonne. Le mariage était une affaire de politique intérieure chargée de renforcer le pouvoir royal, et non d’affirmer la place de la France sur l’échiquier européen. Pourtant, Louis XI y accordait une telle importance qu’elle intriguait la délégation bretonne. Le duc et ses officiers savaient quels étaient les objectifs de louis XI mais ils ne comprenaient pas où le roi voulait en venir. Pierre Landais trouvait que trop d’argent était dépensé pour ce mariage. Anne de France n’épousait pas un fils de roi, mais un baron. L'universelle aragne devait cacher quelque chose.
Juillet se déroula sans encombre malgré les habituelles disputes de préséance et de rang. Bretons et Bourbons tenaient le haut du pavé dans la cour de Louis XI. La grossesse de Gabrielle de Bretagne suscita, dans le clan bourbon, un regain d’intérêt pour le duché et Pierre Landais réussit ainsi à passer quelques accords commerciaux avec la noblesse auvergnate. Si la canicule qui débuta à la mi-juillet rendit les drapiers malheureux, elle offrit d’abondantes opportunités aux marchands de toiles de lin. Lorsque les dames de la cour découvrirent que Gabrielle de Bretagne faisait ample usage du tissu du Léon dans la confection de ses chemises, elles passèrent de nombreuses commandes auprès des marchands accompagnant la troupe ducale. Avant la fin de l’été, la reine de France et ses dames de compagnie vantaient le lin de Bretagne pour sa légèreté et sa fraicheur.
Nobles à la Chasse. 

Mais c’est le jeune Jean qui intrigua le plus les Français. Ils découvrirent rapidement que le jeune duc s’entraînait avec les mercenaires bretons qui assuraient la garde du roi de France et qu’il préférait le champ de manœuvre à la lice du chevalier. S’il faisait preuve du minimum de courtoisie et de solennité nécessaire à la cour de France, la noblesse française considéra rapidement qu’il avait un comportement singulier, inattendu et fort peu respectueux des valeurs chevaleresque. Intéressé par les arts de toutes sortes, l’héritier retrouva pendant son séjour à Blois son mentor Jean de Rohan qui lui laissa l’accès aux manuscrits et aux machineries qu’il avait rassemblé depuis le printemps. Il disparut ainsi pendant de longues heures chaque jour, esquivant maints jeux, chasses et amusements de la cour. L’arrivée de Michel Landais fut une véritable bénédiction pour le jeune Duc. Le jeune marchand revenait d’Italie avec une pleine caravane de nouveautés. Les bats de ses mules déversèrent un trésor de statues, de monnaies, d’amphores antiques, de tableaux italiens, de parchemins byzantins et de traductions latines. La sculpture romaine captiva la noblesse française et ducale. Mais elle laissa froide le jeune héritier de Bretagne. Avec l’aide de son compère de Rohan, il récupéra un inventaire de la caravane de Michel Landais et arracha au jeune commerçant toutes les œuvres écrites grâce à un cassette lourdement garnie. Deux jours plus tard, François II dut personnellement chercher son fils qui n’apparaissait plus aux festivités proposées par le roi de France, ni ne répondait à ses convocations paternelles. Ils eurent une longue conversation sur l’importance de la diplomatie, sur le rôle d’une cour et sur celui d'un jeune héritier. Le jour du mariage, Jean de Bretagne tint son rang de belle manière malgré les craintes de sa belle – mère. Le soir même, il faisait son premier rapport à son père sur les informations qu’il avait glanées. Il lui annonça que le Duc de Bourgogne assiégeait Nancy.

vendredi 4 octobre 2013

1476.Ep3. Printemps pour Mécontents

Les premiers d’entre eux furent les deux jeunes fils de François de Bretagne. Jean VI, le fils légitime, âgé de 13 ans, vit son emploi du temps chamboulé dés l’annonce du mariage Valois-Bourbon. Les dames de compagnie de Gabrielle de Bourbon le kidnappèrent le matin des premiers bourgeons et le conduisirent auprès de la duchesse. La duchesse avait fait débarrasser une salle du château de Nantes pour y installer une cour factice et on avait engagé un maître de danse pour 4 mois de leçons intensives. Ainsi, le jeune jean dut chaque matin pratiquer quatre heures durant l’art de la discussion, celui de la danse et des bonnes manières. Auprès des dames de Gabrielle, il s’essaya à la parole courtoise déclenchant maints fou-rires et de très rares pamoisons. Ayant perdu sa mère tôt, le jeune héritier manquait de raffinement. Avant le remariage du duc, la présence féminine autour de lui était rare et s’était résumé à quelques servantes mal dégrossies et aux femmes de ses maitres ou des membres de la Confrérie. SI, à Clisson, où siégeait la confrérie, ces dames de Bretagne se voulaient les arbitres du bon goût. A la cour ducale, elles paraissaient toutefois bigotes, précieuses et ridicules par rapport aux dames de compagnie de la duchesse. A la cour de France, elles auraient été l’objet des quolibets de toute la noblesse française. Pour Gabrielle, il n’était pas question que son beau-fils subisse ce genre d’insultes, surtout lors du mariage d’un parent avec une fille de France. Elle avait donc insisté auprès du duc pour policer le comportement de l’héritier. Ainsi, en ce printemps 1476, Jean passa les premiers beaux jours à l’apprentissage ardu de l’élégance et à l’essayage fastidieux de son trousseau de cour et de sa tenue de cérémonie. Pourtant, il ne se présentait pas sans arme à la cour de France. Habile aux armes sans être exceptionnel, bon cavalier comme il sied à tout noble, Jean, âgé de 13 ans, possédait une formation atypique pour l’époque. Il suivait régulièrement des leçons données par des maitres de l’Université. Il savait écrire et lire en latin et en français tout en étant capable de tenir une conversation en breton et il s’intéressait en particulier au droit. Son père ne comprenait pas cet engouement pour les connaissances universitaires mais le tolérait tant qu’étaient remplies les obligations c du jeune duc. Dans cérémonielles et militaires du jeune duc. Dans ces dernières, de petite taille, Jean s’entêtait à affronter plus fort et plus habile que lui. François II louait cet acharnement mais redoutait que les passions de son fils le poussent à l’intransigeance, notamment envers son demi-frère François d’Avaugour. François, Bâtard de Bretagne, avait poursuivi son entraînement militaire auprès de la confrérie. Relégué à Clisson depuis le début de son adolescence, il suivait un enseignement militaire qui allait devenir la base de la formation des officiers des bandes. Latin, Français, Breton n’étaient qu’abordés tandis que mathématiques, fortifications et arts mécaniques étaient au programme. François II comptait faire de son bâtard un des bras armés du duché, le premier ingénieur militaire non italien. Mais, en ce printemps 1476, François d’Avaugour qui avait espéré participer aux réjouissances du mariage Bourbon-Valois, apprit qu’il devait s’embarquer pour l’Irlande. Le duc voulait qu’il y reçoive son baptême du feu sous la direction d’hommes de guerre expérimentés et exemplaires comme les Tudors. Pour faciliter les choses, il lui offrit un nouvel équipement et déclara qu’une bonne épée était forgée aussi dans le sang. François II ne lui confia pas qu’il préférait le savoir loin de la France et de son machiavélique et très fortuné roi qui aurait pu allumer quelques ambitions désastreuses dans l’esprit d’un jeune bâtard influençable. Le roi en question ne débordait pas de joie en ce printemps. Les nouvelles de l’est étaient bonnes mais la venue de Jean de Rohan à Plessis les Tours avait gâché la fin du carême et les fêtes de pâques. Le duc de Bretagne l’avait envoyé renégocier les contrats des bandes. Leur compétence reconnue faisait des mercenaires bretons des hommes recherchés. Louis XI leur faisait autant confiance qu’aux suisses et les considérait bien plus solide que ses francs-archers. Mais, à partir du mercredi des cendres, il avait découvert un nouvel aspect des Bretons. Ils étaient durs en affaire. Vantant les réussites des bandes, des corsaires, de la flotte du Ponant et la fidélité du duc de Bretagne, Jean de Rohan négocia le plus âprement qu’il put les nouveaux engagements. Le Roi tenta d’abord de l’acheter en faisant allusion à des titres prestigieux, à des pensions mirifiques ou à des sommes faramineuses. Mais Rohan refusa. Quand Louis passa aux menaces voilées, le vicomte ne fit qu’exprimer, en souriant, son espoir de passer de longues semaines dans ses fiefs, tous hors du royaume de France à attendre la naissance de son deuxième enfant et à régler ses propres affaires. Les instructions du Duc étaient claires. D’une manière ou d’une autre, le roi devait payer toutes les promesses non tenues depuis 1473. Jean devait prendre son temps et récolter au passage un maximum d’informations sur la cour de France. Si certaines vieilles familles le traitaient en privé de maquignon pour sa rapacité commerciale, la réputation de sa famille, ses moyens financiers et son excentricité lui ouvrirent les portes de la noblesse française. Il débuta ainsi une série de correspondances avec des seigneurs d’ile de France, du Maine, de Provence, d’Anjou et d’Auvergne. S’appuyant sur ces sources d’information ainsi que sur la présence de Michel Landais à Lyon, Jean de Rohan envoya chaque semaine, jusqu’à l’été, un courrier en Bretagne. Il y donnait instructions commerciales, conseils de gestion de fiefs et fermes ordres de repos à sa femme. François II, son beau-frère, y lisait, lui, l’état des finances royales, de l’armée française, des factions à la cour de France et l’évolution de la guerre en Bourgogne.. Ainsi, début juin, Jean de Rohan fut le premier à apprendre la chute de Nancy. La garnison bourguignonne n’ayant pas été payée depuis des lustres, se rendit à Renée de Lorraine qui les assiégeait mollement. Louis XI s’en réjouit et décida de profiter de l’occasion. Il accepta les exigences de Jean de Rohan. Louis paya le double pour recruter les bandes. Il voulait absolument des troupes aguerries pour encadrer les piétons français. Lourdement escortée, une caravane achemina l’or français à Nantes. Rohan était encore à la cour de France lorsqu’arriva la St Jean. Dans un très rare accès de sincérité, Louis XI lui demanda ce qu’il désirait pour devenir son homme. Le vicomte lui répondit qu’aucun roi de France ne voudrait lui accorder ce qu’il avait obtenu du duc. Le roi en resta coi.
Banquet au XVè siècle.

jeudi 19 septembre 2013

1476. Ep2. Soie et Brocard sur le Rhône, Fer sur le Rhin.

A Nantes, les invitations au mariage d’Anne de France et de Pierre de Beaujeu parvinrent au duc début février. Il convoqua donc ses Etats pour la mi-septembre et non la mi-aout. Marié à Gabrielle de Bourbon et allié du roi de France, le duc était l’invité des deux familles. Une partie de son été serait donc destinée à suivre les festivités du mariage tout en faisant sa cour au roi de France pour obtenir quelques avantages financiers ou territoriaux. Le duc n’était pas dupe. Cette invitation avait aussi forme de convocation. Dans sa missive, le roi se réjouissait de revoir son allié, sa femme et de découvrir Jean, l'héritier de Bretagne. Louis XI profiterait de ce mariage, pour rassembler et consolider ses alliances. Le maréchal de Rieux et Pierre Landais l’informèrent que les festivités serviraient aussi à repérer et taire les mécontents à la cour de France. Manifestation de la puissance royale, cette cérémonie serait aussi un gouffre financier pour les familles nobles qui se devaient d’y participer et d’y apparaître sous leurs meilleurs atours. Les dépenses somptuaires que les nobles devraient réaliser pour tenir leurs rangs permettraient au roi de découvrir les ambitieux et les orgueilleux mais aussi de diminuer les réserves financières de tous ses turbulents vassaux. De Lyon, Michel Landais avait d’ailleurs prévenu son père que les marchands et les représentants des banquiers italiens étaient devenus les coqueluches de la noblesse d’Auvergne et que l’or génois, florentin ou vénitien changeait de main pour passer dans celles des drapiers et des tailleurs qui croulaient sous les commandes. Cet or invariablement revenait aux représentants des cités marchandes qui fournissaient aux artisans et joailliers, les brocards, les soies et les perles nécessaires à la confection des nouvelles robes et des nouveaux pourpoints. La noblesse empruntait à tour de bras et commandait sans compter pour embellir ses costumes de fêtes. Michel Landais donnait aussi quelques vagues informations sur les opérations en Alsace que René II de Lorraine avait ralliée à sa cause.
René II de Lorraine (reconnaissable à la croix de cette région) et ses piétons.

Pierre Du Pont l’Abbé était bien plus précis dans ses rapports au Maréchal de Rieux. Il y passait au crible les différentes phases de sa campagne d'automne en Alsace et de ses raids hivernaux en Franche-Comté. Accueilli à bras ouvert par les citadins rhénans, René II rassemblait une armée sur les bords du Rhin. Il espérait passer à l’offensive en Lorraine au printemps et libérer son fief à l’été. Sous les ordres de Pierre du Pont-l’Abbé, Les cavaliers bretons avaient mené deux chevauchées en Franche-Comté. Utilisant leur mobilité, ils passaient rapidement de vallée en vallée, surprenant les troupes bourguignonnes, menaçant les châteaux et pillant les villages. Les garnisons franc-comtoises éparpillées et réduites par les prélèvements de l’année précédente, se terraient dans leurs fortifications et laissèrent Pierre du Pont-l’Abbé battre la campagne comtoise en toute liberté. Dans sa dernière missive, il informait le maréchal de ses succès et de développements inattendus dans les cités rhénanes. Quelques mercenaires suisses y avaient entraîné les milices urbaines tentant de leur donner un semblant de valeur militaire. Or, les Alsaciens s’étaient pris au jeu et malgré le temps exécrable de la fin de l’hiver, s’acharnaient pour suivre convenablement les ordres des vainqueurs de Morat. De plus, les élites urbaines s’intéressaient de plus en plus au système de gouvernement des cantons helvétiques tandis que le duc d’Autriche avait toujours mauvaise réputation auprès des citadins. Malheureusement, le soutien helvétique se faisait attendre car les cantons discutaient des suites à donner à la victoire de Morat. Les cantons de l’est craignaient le retour du duc d’Autriche et l’expansion de Berne tandis que ceux de l’ouest menés par les Bernois voulaient définitivement écraser le Téméraire. Les débats se poursuivaient à Zurich depuis la noël et étaient au point-mort. Des envoyés de Louis XI étaient annoncés.


Lors du conseil de guerre du 27 mars, à Clisson, le nouveau Vice-chancelier Jean II de Rohan présenta des informations venant de ses contacts à Anvers et à Lyon. Le duc de Bourgogne avait parcouru ses fiefs pour obtenir des écus et rassemblait dans le sud une armée. Il avait convoqué ses Etats de Bourgogne à Dijon et leur avait tenu un discours fort patriotique et fort alarmant sur la montée en puissance des Suisses et de leurs perfides alliés allemands, traitres à leur duc. Les élites bourguignonnes avaient alors convenu de financer la défense de leurs frontières à hauteur de 6000 livres tournois par mois et ils demandèrent à Charles de fournir des capitaines à leurs garnisons et de renforcer la Franche-Comté. L’armée qui se rassemblait à Salins n’était plus aussi formidable que celle des années précédentes. Si les compagnies d’ordonnance du duc étaient en nombre, elles restaient incomplètes. Piétons, artilleurs et canons manquaient. Pendant l’hiver, le duc avait envoyé ses lieutenants recueillir les fuyards de Morat. 6000 hommes se présentèrent qu’il fallut rééquiper. Les nouveaux contingents de Flamands et de Picards tardaient à arriver et les détachements, pour renforcer les garnisons franc-comtoises, avaient affaiblis sa force principale ainsi que les troupes occupant la Lorraine. Les diversions de Pierre Du Pont l’Abbé avait porté leurs fruits. Enfin, le manque d’espèces irrita les mercenaires. Le capitaine Campobasso exigea que le duc tienne ses promesses mais les boues de l’hiver retardaient les transferts de fonds. A la fin février, de Bruges, Tommaso Portinari, le représentant de la banque des Médicis, fit parvenir des lettres de change à Pontarlier où Charles avait installé son armée pour surveiller les Suisses. Cette arrivée calma les querelles d’autant plus que le duc promit une augmentation des soldes. Mais cela coïncida avec l’annonce de la chute d’Epinal. Le 21 février, René II avait repris la ville vosgienne et s’efforçait d’installer des troupes fidèles dans toutes les garnisons que les Bourguignons avaient délaissées. Inexplicablement, le duc ne bougea pas.
Epinal au moyen-âge. source : http://patrimoine-de-lorraine.blogspot.fr

samedi 14 septembre 2013

1476. Ep1. Noces et désaccords


La nouvelle année débuta par un événement heureux en la cours de France. Louis XI fiançait sa fille Anne. Le vieux roi avait longuement pesé le pour et le contre dans les multiples possibilités d’alliance qui lui donnait cet enfant. Il avait choisi celle qui renforçait le plus le pouvoir royal et qui n’accordait ni prestige ni finances à des puissances étrangères. De plus, il avait sécurisé par cette promesse de mariage sa succession. Louis se savait vieux. Un accident, un assassinat ou une maladie pouvaient le frapper à tout moment. Cette cérémonie lui avait gagné le soutien d’un des clans les plus puissants de la cour de France. Anne ne serait pas reine mais il espérait qu’elle serait régente et qu’elle protègerait son jeune frère. Dans une longue discussion, il lui avait expliqué les tenants et les aboutissants de cette alliance et elle s’était inclinée de bonnes grâces. Le roi savait maintenant avoir vu juste. Sa fille était une politicienne. Elle avait compris que derrière les basses manipulations diplomatiques de son père se cachait une volonté inébranlable de faire du royaume un roc qu’aucune puissance étrangère ou intérieure ne viendrait ébranler. Elle avait adopté ses vues et le roi la promit à un des hommes les plus brillants de sa cour, homme d’âge mur capable de rivaliser avec l’esprit de sa jeune fille mais aussi de la soutenir dans la défense du royaume.
Anne de France, âgée de 15 ans, lors de ses fiançailles, triptyque de Jean Hey.
En effet, si les succès suisses avaient diminué la menace bourguignonne et donc renforcé le prestige de la France, la politique intérieure de Louis créait maints mécontentements dans la noblesse. Il s’échinait à rogner leurs pouvoirs pour renforcer le sien. La grogne se multipliait et ce qu’on disait, il y a 5 ans, dans les alcôves se disaient maintenant ouvertement dans les salons des grands du royaume. Le roi empiétait trop sur les droits de la noblesse, il était trop puissant, il exigeait trop de services et donnait trop peu. Et surtout, il était vieux. Récemment, des rumeurs avaient courus sur sa sénilité. Mais de tous les bruits, les plus persistants étaient ceux qui faisaient état de sa vilénie, de sa rouerie et de son manque d’esprit chevaleresque. Ses opposants attendaient sa mort pour profiter d’une régence durant laquelle le pouvoir royal serait nécessairement affaibli. Heureusement, ces fiançailles réunissaient la monarchie et la famille la plus riche de France. Anne allait épouser un Bourbon, clan qui contrôlait l’Auvergne et qui pouvait faciliter ou limiter les accès à la partie méridionale du royaume de France. De plus, cette alliance permettait à Louis XI de renforcer sa position au centre du royaume et de récompenser un de ses officiers les plus brillants : le Sire de Beaujeu.
Pierre Sire de Beaujeu, Comte de La Marche, Vicomte de Carlat et de Murat puis à partir de 1488, Duc de Bourbon, Duc d'Auvergne, Comte de Clermont, Comte de forez et Prince de Dombes, âgé de 38 ans. triptyque de Jean Hey

François II de Bretagne et Guillaume Chauvin avait longtemps espéré que la fille de Louis serait promise à Jean. Si le duc et son chancelier avaient fait des ouvertures sérieuses au sujet de ce mariage, Louis XI avait toujours évité de répondre grâce à son génie de l’esquive diplomatique. François II n’avait donc pas fondé de grands espoirs sur cette possible alliance. Pourtant, cela le vexa  et il se souvint d’un coup de toutes les couleuvres françaises qu’il avait dues avaler depuis deux ans. Malgré les promesses royales et le traité des estuaires, le parlement de Paris tentaient toujours de s’immiscer dans le affaires ducales tandis que les normands et les bordelais perturbaient régulièrement le commerce breton par les estuaires français. Irrité, il décida de ne pas renouveler l’alliance avec la France après la chute du téméraire et d’attendre les ouvertures de Louis si celui-ci voulait prolonger leur entente.

L’échec de ses actions diplomatiques diminua l’influence de Guillaume Chauvin à la cour de Nantes tandis que Pierre Landais devenait peu à peu la puissance à courtiser. Rohan, les amiraux et les marchands soutenaient ses efforts à l’intérieur du duché car il privilégiait l’essor économique et maritime dans un but d’indépendance financière. Mais ils s’opposaient à sa volonté d’indépendance politique. Tant que Louis alimenterait le duché en subsides, la position des amiraux et des officiers des bandes ne ferait que se renforcer en Bretagne. L’influence française restait grande, même si elle tendait à se limiter. En Bretagne, l’administration, l’agriculture, le commerce et les proto-industries continuaient à se développer et le duché gagnait en prospérité. Une partie de la noblesse possédait des fiefs en France et en Bretagne. Leurs terres bretonnes produisaient de plus en plus de richesses. A l’inverse, leurs seigneuries françaises, écrasées sous les nouveaux impôts royaux et bloquées dans leur développement par les coutumes françaises, devenaient des fardeaux pour leurs finances. Alors que dix ans auparavant, ces hommes préféraient séjourner en la cour de France, ils résidaient de plus en plus longtemps auprès du duc qui certes avaient moins de possibilités de les récompenser mais où, la coutume bretonne aidant, ils pouvaient profiter de plus d’opportunités économiques et commerciales. Enfin, dans le duché, la surveillance était bien moindre que dans le royaume de France où les agents officiels et officieux du roi reportaient à l’universelle aragne tous les faits et gestes de ses vassaux. Ainsi, la noblesse franco-bretonne changeait peu à peu et se désolidarisait lentement de la cour de France d’autant plus que le duché devenait un des laboratoires de la Renaissance. Le retour du fils de Pierre Landais allait précipiter les choses.

vendredi 16 août 2013

1475.Ep5. Europe du Nord des côtes de l'Irlande à la Flandres bourguignonne.

En Ulster, au printemps 1475, l’arrivée de Jasper Tudor et de sa flotte chargée de blés français et bretons permit de rallier la population affamée au nouveau pouvoir tandis qu’Henry Tudor lançait ses troupes à l’assaut des dernières terres rebelles de l’Ulster. Sa cavalerie mena une campagne mobile et agressive. Renseignés par un membre du clan O’Neill résidant à Londonderry, les chevaliers lancastres capturèrent Henry O’Neill, monarque de Tyrone, le 14 juin. Quatre jours plus tard, à Armagh où les Tudors avaient installé leur quartier général, Henry décapita lui-même son homonyme du Tyrone tandis que sa garde se chargeait d’exterminer la branche régnante des O’Neill. Hommes, femmes et enfants furent décimés. Henry Tudor acquit ainsi une nouvelle couronne et une nouvelle province pour sa seigneurie d’Irlande. Début juillet, il se rendit à Limerick et décida avec le roi du Desmond de commencer une campagne contre le monarque du Connaught, Eoghan O’Connor. Ce chef du clan ne se rendit pas facilement. Pour obtenir sa soumission, il fallut non seulement deux mois de campagne sanglante mais aussi que les mercenaires bretons au service des Tudors écrasent les Gallowglass de sa garde lors de la bataille de Galway du 21 juillet. Dés août, l’indépendance du Connaught était une cause perdue et les ralliements se firent de plus en plus nombreux au cours de l’été. Ecrasé par la puissance militaire du Lord of Ireland, Eoghan O’Connor dut négocier. Henry exigea qu’il lui fasse hommage et qu’il lui abandonne son titre de roi pour celui d’Earl of Connaught, et qu’il lui cède définitivement Galway, principal centre de commerce dans la province. En novembre, il convoqua le parlement d’Irlande pour la nouvelle année et il envoya un nouveau message au légat du Pape en France pour l’inviter sur le sol irlandais. Il attendait toujours l’accord de sa sainteté pour le port du titre de Seigneur d’Irlande.

En Angleterre, les rapports concernant les corsaires irlandais se multipliaient sur le bureau du chancelier et inquiétaient de plus en plus le frère du roi, Richard duc de Gloucester. Les littoraux de ses territoires du nord étaient vulnérables à ces attaques qui s’ajoutaient aux raids des Ecossais. Ces derniers se mirent aussi à pratiquer la course en mer d’Irlande puis en Mer du Nord. Ils trouvèrent une cible de choix dans les navires anglais assurant le commerce avec les Flandres et la Baltique. Peu à peu, les commerçants et armateurs anglais perdaient leurs navires d’autant plus que les prises étaient souvent réarmées en corsaires dans les ports écossais et irlandais. Si Jasper Tudor ne réalisa aucun raid d’envergure sur le territoire anglais, il tenta de maintenir un blocus dans le Bristol’s Channel ainsi que sur le littoral du Yorkeshire. Dans le pays de Galles, les opposants d'Edouard IV se multipliaient grâce aux subsides généreusement distribués par Japser et la révolte couvait. L’affaiblissement de la flotte rendit compliquée la défense des échanges avec le continent et Edouard IV concentra ses navires sur les routes commerciales les plus rentables : celles avec la Baltique et avec les Flandres. Malheureusement, cela laissait la Manche et la mer d’Irlande à la merci des Lancastres et des corsaires écossais. A partir de l’été, les marchands des comtés de l’ouest organisèrent des convois armés pour assurer la sécurité de leurs exportations. Leurs bénéfices diminuèrent d’autant et la grogne s’installa dans les ports anglais de l’ouest. A St Malo, au contraire, même si les bénéfices de la course diminuaient, les entreprenants armateurs se firent constructeurs navals pour remplacer leurs anciens navires par des carvels. Les vieilles coques furent judicieusement vendues en Irlande et en Ecosse, renforçant leurs capacités navales.

En mer du nord, la moitié de la Grande Escadre de Bretagne se rendit à Copenhague et escorta les navires de la Hanse vers les Flandres. Puis, elle mena campagne contre la piraterie endémique en Manche. Privilégiant l’alliance avec l’Irlande, l’escadron breton repoussa les attaques des pirates anglais, brûla quelques uns de leurs navires mais ne mit pas fin au problème d’autant plus que certains normands reprirent cette pratique. En effet, les armateurs et marchands de Normandie mécontents du traité des estuaires financèrent quelques navires pour miner la domination bretonne sur le commerce est-ouest de la Manche. Mais la Grande Escadre avait ordre de libérer les côtes françaises et bretonnes de toute entrave au commerce maritime si bien que quelques navires d’origine douteuse brûlèrent dans la baie de somme et quelques marins parlant français furent envoyés à Groix, promue île pénitentiaire. Louis XI reçut maintes lettres de protestation de Rouen et de Harfleur. Mais bien trop occupé par les affaires de Bourgogne et désirant conserver l’alliance bretonne, il ne donna pas suite à cette affaire. 
Harfleur, port royal au Moyen-âge. source : patrimoine-normand.com

samedi 27 juillet 2013

1475.Ep4. Turning Point en Helvétie.


Représentation de la Bataille de Morat du 19 septembre 1475 par D.Schilling. le jeune.
Après la défaite de Grandson, Charles Le Téméraire ne renonça pas à donner une leçon aux Suisses. Il passa l’été à rassembler des troupes et de l’argent à Lausanne. Attirés par sa richesse et par son prestige à peine écorné, les mercenaires complétèrent les débris de l’armée bourguignonne qui atteignit lors de la revue du 15 aout, 12000 combattants. Cet ost se composait d’environ 2000 cavaliers lourds, de 5000 archers montés et de 4000 fantassins. L’objectif de Charles était de mettre définitivement à genou les Bernois. Canton le plus agressif de la confédération helvétique, Berne avait placé une garnison importante dans la cité de Morat et avait renforcé cette ville fortifiée des canons pris à Gandson. Aldrian Von Bubenberg commandait la cité et contrôlait la route de Lausanne à Berne. Habile capitaine, il savait que le Téméraire devait prendre Morat s’il voulait s’attaquer à Berne. Charles ne pouvait laisser derrière lui une forte garnison capable de couper ses communications avec la Franche-Comté. A Berne, Renée II de Lorraine et les Bernois faisaient pression sur les autres cantons pour obtenir des hommes et des fonds pour la guerre. Ces négociations trainèrent et ne se finalisèrent que lorsque Charles assiégea Morat le 4 septembre. En raison de leurs faiblesses financières, les Suisses ne pouvaient mobiliser leur armée que pendant un temps très court et devaient frapper vite et fort pour obtenir une décision rapide. L’ost Suisse se rassembla à Berne le 17 septembre tandis que les Bretons de Pierre du Pont-L’Abbé surveillaient les abords du camp bourguignon.

A Morat, Charles le Téméraire menait hardiment le siège de la cité. En raison du caractère lacustre de la ville, Adrian Von Bubenberg réussit à maintenir des liaisons constantes avec Berne et connaissait les préparatifs de l’armée suisse. Avec son artillerie, il obligea les Bourguignons à ne réaliser leurs travaux de siège que de nuit. Ceux-ci prirent donc un retard certain. Pour se protéger d’un retour offensif des Suisses, le téméraire établit une position fortifiée nommée la Haye Verte composé d’une palissade et d’un fossé. L’ost bourguignon devait l’utiliser pour se rassembler en toute sécurité puis contre-attaquer les carrés suisses qui s’aventureraient à tenter de relever la cité de Morat. Mais cette position ne servit à rien. Le 19 septembre, elle n’était que faiblement défendue par l’artillerie du duc, une compagnie d’ordonnance et une bande d’archers bourguignons. Les confédérés prirent les défenseurs par surprise. Les artilleurs du Téméraire réagirent vertement et bombardèrent les carrés helvétiques qui essuyèrent des pertes. L’avant-garde suisse marqua le pas et la compagnie d’ordonnance charge pour permettre aux canonniers de recharger. Mais René II de Lorraine intervint avec ses cavaliers lourds. Repoussés, les chevaliers bourguignons durent se replier derrière la palissade. Les Suisses reprirent leur avance soutenus par la cavalerie légère de Pierre du Pont-L’Abbé qui avait contourné au sud la position fortifiée. Les Hélvétiques franchirent la palissade délogeant piétons, artilleurs et cavaliers de leur position favorable. Alors, ils déferlèrent sur les camps bourguignons à l’ouest de la cité. Celui des mercenaires italiens fut submergé le premier. Puis, les Suisses foncèrent sur le quartier général et obligèrent le duc à se retirer. La retraite du duc et la sortie de la garnison de Morat sonna le glas de l’armée bourguignonne. La panique s’empara des piétons bourguignons retranchés à Meyriez, dernier objectif des Suisses sur la rive du lac de Morat. Lorsque les carrés écrasèrent la garde ducale et les archers anglais, la retraite devint déroute et les cavaliers légers de Bretagne se jetèrent sur les restes de la gendarmerie du duché qui se fit décimer pour protéger la fuite du Téméraire.Si l’ost bourguignon avait réussit à fuir le champ de bataille de Grandson, la situation à Morat fut tout autre. Les Bourguignons étaient encerclés entre les carrés suisses, la cité et le lac. Nombre d’entre eux tentèrent de traverser mais se noyèrent. Enfin, les Suisses ne firent aucun quartier et massacrèrent les restes de l’ost bourguignon. Aujourd’hui, les historiens estiment les pertes du Téméraire à 10000 hommes tandis que celles des Suisses et de leurs alliés ne s’élevèrent qu’à six cents hommes. Si cette victoire consacra la prédominance des piquiers et confirma la solidarité naissante entre les cantons où émergeait une identité commune, elle rejetait définitivement les Bourguignons hors du pays de Vaud, libérait l’accès à Lyon et au sel de Franche-Comté. Enfin, elle permettait aux Suisses d’obtenir une trêve avec la Savoie. A l’inverse, pour Charles, c’était une catastrophe. Argent, réputation et armée avaient cette fois disparus et seraient difficilement remplaçables. Si Grandson était apparu comme un accident dans de nombreuses cours d’Europe, Morat détruisit la puissance diplomatique de Charles déjà fragilisée par son arrogance et ses ambitions. Passant à Lausanne le 21 septembre, Charles le Téméraire fila vers ses domaines bourguignons sans se retourner. Le 22 septembre, la Haute-Alsace se révoltait de nouveau. Le 25 septembre, un contingent de Bernois et la Bande de Pierre de Pont-L’Abbé franchirent le Rhin à Bâle puis s’aventurèrent en Franche-Comté.

 

vendredi 5 juillet 2013

1475.Ep3. Grandson. De la Parade au désastre.

Chapeau ducal du Téméraire récupéré dans le butin et exposé au musée de Grandson. Photo de momox de Morteau.
Pour renforcer son autorité, Charles passa le printemps à parader dans les villes alsaciennes avec la moitié de son armée tandis que l’autre se rassemblait à Lausanne après son passage en Lorraine. Dans chaque ville qu'il traversa, le téméraire déploya ses richesses et sa puissance. Joyaux, perles, vêtements de brocard, vaisselles d'or côtoyaient bombardes gigantesques, couleuvrines imposantes, bandes de mercenaires bigarrés d'Italie et archers redoutés d'Angleterre. Ils étaient précédés des gendarmes d'ordonnance de Bourgogne, rutilants du froid métal de la guerre et juchés sur de redoutables destriers cuirassés de fer. Vêtu d'une armure à liseré d'or et d'un chapeau recouvert du plus noble des métaux, Charles le Téméraire menait ce défilé de bannières et d' étendards qui rappela aux Alsaciens qu'ils n'étaient qu'une puissance minuscule face à celui qui s' auto-proclamait Grand Duc d'Occident. Charles obtint calme et obéissance des villes du Rhin qui lui fournirent suffisamment de ravitaillement pour aller faire la guerre en Suisse. Il les frappa tout de même d'une amende de 50000 livres. Les acclamations avaient été moins nombreuses que les regards de peur et les volets clos.

L'ost de Bourgogne n’arriva à Grandson que le 12 mai et demanda la reddition de la garnison. Celle-ci résista mais fut prise d’assaut le lendemain. Charles fit pendre les survivants à cause de leur obstination imbécile. A Neuchâtel, les forces des cantons suisses étaient prêtes et décidèrent de le surprendre pendant ce qu'ils croyaient être un siège. Agissant comme éclaireurs, les troupes montées de Pierre du Pont L’Abbé arrivèrent sur le mont Aubert qui supplante le château de Grandson, le 13 au soir. Les cavaliers bretons étaient séparés en deux groupes, une de lanciers légers et une d’arbalétriers montés. Pierre du Pont-L'abbé fit prévenir les forces des cantons que le camp bourguignon n’avait posté que des sentinelles pour surveiller l'accès nord, le long du lac de Neuchâtel. Les discussions entre les chefs suisses prirent toute la soirée mais les Bernois réussirent à convaincre les autres cantons de s’attaquer aux Bourguignons. Le 14 mai, les piquiers suisses s’avancèrent vers la ville. Mais la situation avait changé. Charles de Bourgogne avait posté son armée pour défendre l’accès nord-est à Grandson. Près de la rive, son artillerie couvrait la route du lac tandis que ses piétons et sa cavalerie étaient en embuscade formant un fer à cheval de la rive aux forêts des pentes abruptes du mont Aubert. En avant d’une ligne garnie de pieux défendant les hommes à pied, Charles avait posté sa cavalerie tout en laissant des intervalles par lesquels artillerie et archers pouvaient arroser les assaillants. En début de matinée, Pierre de Pont-l’Abbé vit tout cela et prévint les Suisses des nouvelles dispositions de l’ost bourguignon. Les Bernois qui formaient l’avant-garde décidèrent de pousser l’assaut car ils avaient peur de voir les autres cantons refuser de poursuivre les combats. Confiants dans leur formation en carré et dans leur agressivité, les Suisses chargèrent sous une pluie de missiles. Le carré se révélait une formidable cible pour l’artillerie et les archers bourguignons. L’assaut tourna court mais l’alternance de charges et de tirs n’entama pas la résolution des Bernois qui restèrent sur le champ de bataille. Lorsque le corps principal des Suisses arriva, les Helvétiques et les Bourguignons réitérèrent les mêmes tactiques qui aboutirent au même résultat. Se regroupant, les Helvétiques formèrent peu à peu un énorme carré résistant aux charges et aux tirs de l’ost bourguignon. Mais l’assaut était arrêté et les pertes s'élevaient rapidement quand, d'un coup, le flanc gauche de l’armée bourguignonne s’écroula. Les archers et les hommes d’armes à pied s'enfuirent. Derrière les pieux plantés par les Bourguignons apparut l’étendard à la croix noire et les lanciers de Pierre du Pont-L'abbé. Un groupe de 500 arbalétriers demonta et arrosa de carreaux les chevaliers de Charles alors qu’ils se portaient à la rescousse de leur infanterie. Pieux et missiles firent le nécessaire et les cavaliers bourguignons durent se replier derrière le centre de la ligne du Temeraire. Ce répit permit aux Helvètes de reprendre l’initiative, d’enfoncer le flanc droit et de capturer l'artillerie de Charles alors que le centre résistait furieusement grâce aux Compagnies d'ordonnance du Duc. Celui-ci rassembla alors les restes de sa cavalerie et tenta une dernière charge sur le carré des cantons. Harcelés par les arbalétriers bretons sur leur flanc et repoussés par les piquiers, les gendarmes ne purent percer et refluerent en désordre sur le centre affaibli. A ce moment-là, sonnant de tous ses cors de guerre, l’arrière-garde suisse déboucha sur la plaine. S'il renforça le courage helvète, ce hurlement sauvage remplit d'effroi les Bourguignons qui craquèrent enfin et s’enfuirent vers l'ouest. Partageant ses troupes en deux, Pierre de Pont-L’Abbé engagea ses lanciers qui firent un massacre des piétons de bourgogne tandis que ses arbalétriers montés devançant les Suisses s’emparèrent du campement de Charles. Pierre et ses 600 hommes s'approprierent les bagages du Duc laissant le reste à l’ost suisse épuisée.
 



La fuite du Téméraire par Eugène Burmand.



Le butin fut colossal. Les pertes l’étaient aussi. 4000 Suisses sur environ 20000 étaient étendus sur le champ de bataille tandis que 3000 Bourguignons ne se présentèrent pas au rassemblement de l’ost à Lausanne. Charles avait perdu l’ensemble de son artillerie mais aussi les symboles de sa richesse et de sa puissance. Joyaux, vêtements de parade, tapisseries, vaisselles de prix et trésor de guerre restèrent entre les mains des Helvétiques et des Bretons. A Lausanne, enragé et humilié, Charles Le Téméraire rassembla ses troupes désorganisées, appela celles stationnant en Alsace et prépara furieusement une seconde offensive. Il n'allait pas se laisser faire.

 

jeudi 4 juillet 2013

1475. Ep2. Diplomatie méditerranéenne.

Armoirie de l'Emirat de Grenade.

Lorsque Quelennec le Jeune fit escale à Lisbonne en juillet, il commençait à être pleinement satisfait de son escadron qui se comportait enfin en marin. Il déposa les diplomates à destination de la cour du Portugal. Un agent de Rohan prit contact avec lui et l’informa de la situation dans la péninsule ibérique. La Castille était en guerre contre le Portugal. Alphonse du Portugal n’acceptait pas qu’Isabelle de Castille devienne l’héritière du royaume de Tolède car elle était fiancée à Ferdinand, l'héritier d’Aragon. Le roi n’étant pas présent, le jeune vice-amiral décida de laisser les diplomates bretons puis de mettre les voiles pour Valence où il débarquerait les ambassades pour l’Aragon et pour Rome. Il passa le détroit de Gibraltar et profitant des vents océaniques, il remonta le long de la côte andalouse. A la hauteur d’Almeira, il reçut une visite inattendue. Un chébec se présenta devant la flotte bretonne et demanda une négociation avec les représentants du duché de Bretagne. Pendant deux jours, les représentants du Duc discutèrent avec ceux de l’Emir. Les Andalous offraient un accès complet à leurs marchés mais demandaient aux Bretons de leur vendre armes, poudre et canons. Quelennec le jeune répondit qu’aucun des représentants du duc ne pouvaient prendre une telle décision mais qu’il était d’accord pour emmener un petit groupe de Grenadins à Nantes. L’Emir devait bien prendre en compte qu’il n’aurait sa réponse qu’au printemps prochain. Le 15 aout, l’escadron de Port-François entrait à Valence. Quelennec le Jeune déposa les ambassadeurs de Bretagne puis fila vers l’Atlantique avec à son bord trois représentants musulmans.
Les diplomates en Castille et au Portugal ne réussirent qu’à renouveler les accords commerciaux des années précédentes. Ils désappointèrent Alphonse du Portugal quand ils lui annoncèrent qu’aucune des bandes n’étaient libres. Pourtant, il passa commande d'un certain nombre d'articles militaires que son pays ne pouvait produire en quantités suffisantes : poudre et éléments d'armures. Les deux délégations rentrèrent dés l’automne en Bretagne. A Rome, au contraire, les négociations furent longues mais fructueuses. En effet, les ambassadeurs bretons apportaient un message du légat du Pape en France. Celui-ci recommandait à sa sainteté Sixte IV de reconnaitre le pouvoir de Henry Tudor en Irlande et d’élever l’évêché de Vannes au statut d’archevêché. Ce nouvel archevêché aurait juridiction sur l’ensemble des terres du duché de Bretagne. Sixte IV décida de ne plus faire la sourde oreille et il présenta le projet à l‘administration vaticane. Cet archevêché permettrait de désolidariser les évêchés bretons de la France et donc des éléments les plus gallicans de l’église française. En ce qui concerne l’Irlande, le pape ne souffla mot.
Le Duc mit tout de suite son veto. Il n’allait pas recevoir les Grenadins. François II confia à son beau-frère Jean les demandes du Roi du Portugal en poudre et en armes. Et, devant lui, il souligna que le duché ne pouvait s’opposer à ce que des marchands indépendants entreprennent de vendre des armes aux musulmans. Jean comprit parfaitement le message. Rachetant des vieux stocks de l'ost breton, Rohan rassembla les marchandises rapidement. Profitant d'un beau mois de décembre, cinq navires de Rohan partirent vers le sud, officiellement à destination de Lisbonne. Ils avaient pour instruction de troquer armes et poudre contre sucre ou épices. Or Grenade était le terminus des routes musulmanes du commerce de ces denrées.
 
Carte de l'Emirat de Grenade en 1475

vendredi 28 juin 2013

1475. Ep2. Temps de paix en Bretagne.


François II vit la paix arrivée avec soulagement car l’énorme effort maritime qu’il avait entrepris commençait à peser sur ses finances et sur la population. L’armement de 50 navires avait prélevé une si forte partie de la population de pécheurs que la pêche, les sécheries et le commerce maritime avaient connu leur première baisse d’activité depuis les réformes de Pierre Landais. André de Lohéac restructura la marine bretonne par soucis d’économie et parce que Louis XI ne continuerait pas à financer une flotte aussi importante en temps de paix. Il diminua le nombre de navires en escadre à 20. 16 carvels et 4 caravelles se répartirent en deux escadrons, le premier à Morlaix et le second à Port-François qui resta le premier centre de ravitaillement et de construction des navires du duc. Le trésorier des Guerres vendit les plus endommagés et les plus anciens aux enchères à Nantes et Morlaix. Les agents de Jean de Rohan en acquirent cinq qui complétèrent la flotte embryonnaire du prince-marchand de Bretagne. Les acheteurs malouins cherchaient eux des navires armés car ils avaient obtenus du Sire de la Mer, le droit de s’armer en corsaire pour des nations étrangères. C’est ainsi que Jacques Danycan repartit en Irlande avec une dizaine de bâtiments malouins. La Notre Dame du Lac connut un sort plus funeste. Décortiquée par les charpentiers de Port-François, elle ne fut remontée qu’en 1477 et finalement, vendue. Yann de Ranrouët conserva le commandement de la Grande Escadre dite aussi escadre du ponant tandis que Quelennec le Jeune garda celui de l’escadron de Port-François. La Grande Escadre perdit nombre de navires anciens et ne se composa plus que de 12 carvels et de 3 caravelles à partir de 1475. André de Lohéac décida de maintenir les 8 caravelles garde-côtes pour lutter contre la contrebande en Manche.
Le retour des marins permit de réarmer de nombreux navires marchands et bâtiments de pêches dés l’été et les échanges avec les Flandres et la péninsule ibérique reprirent rapidement. Les navires bretons étendirent leurs rayons d’action jusqu’à Hambourg et jusqu’à la méditerranée. Si la Hanse dominait la Baltique, si les Anglais conservèrent l’avantage dans leurs relations avec les Flandres, les Bretons supplantèrent les autres nations dans le domaine du transport atlantique de marchandises. Seul, le Portugal maintient un commerce florissant autour du sucre de ses iles atlantiques. L’Irlande, encore en guerre avec les Anglais, entra directement dans le commerce breton. Rohan y écoula des armes et des canons tandis que les négociants de Morlaix y vendirent en priorité du vin, du sucre et du blé en surplus en Basse- Bretagne. Ils ramenèrent de la laine, des plants de lin et des peaux. Les plants de lin connurent un grand succès en Bretagne en raison de leurs faibles couts par rapport à ceux de la baltique. Pendant un temps, la laine approvisionna les ateliers de draps autour de Rennes et Vitré mais elle était trop concurrencée par la production de l’élevage breton qui se développait sur les terres incultes. Ainsi, la laine et les peaux d'Irlande disparurent rapidement du marché breton. Enfin, les malouins y trouvèrent un terrain de chasse idéale sous les ordres de Jasper Tudor avec la bénédiction du duc et du roi de France.


La Forteresse d'Ancenis, complétée en 1484, fut creusée dans la rive de la Loire et les parties vulnérables aux boulets construites en briques qui absorbaient mieux le choc des boulets de métal.
La diminution des dépenses militaires permit au duc de s’atteler à de nouveaux projets. En mai, il décida en son conseil de guerre de rénover les défenses de châteaux de sa marche avec la France. Il s’agissait de changer le dessin des forteresses pour adapter tours et murs à l’usage de l’artillerie. François II prit alors deux décisions qui changèrent la Haute - Bretagne. Il imposa une nouvelle architecture des forts avec des tours plus basses, semi-enterrées, aux murs doublés en épaisseur et capables de supporter deux à quatre pièces d’artillerie tirant en enfilade. Deuxièmement, il décida de rénover les routes de Bretagne pour faciliter le transport des pierres nécessaires aux nouvelles constructions et l’approvisionnement des forteresses. Ancenis et Fougères seraient les deux premières cités à profiter de ces innovations. Il exonéra les transports de pierres de tous péages et de toutes taxes vers ces deux destinations à condition qu’elles proviennent de carrières bretonnes.





Les nouveaux murs de Fougères complétées en 1487. le talus à gauche fut obtenu par le creusement des fondations et des douves.
Allié de la France contre le Téméraire, François II ne se préoccupait pas de la réaction de Louis XI concernant ces deux forteresses. S’il avait obtenu le contrôle des iles anglo-normandes jusqu’à la paix, les agents du duc l’avaient informé de l’opposition des parlementaires parisiens à l’enregistrement du traité d’Angers. Or, depuis février, Louis XI n’avait pas obligé son parlement à officialiser ce traité. Connaissant le pouvoir du roi de France et sa volonté implacable de le faire appliquer, François II comprit rapidement qu’il s’était fait berner par le résident de Plessis-lès-Tours. C’est ainsi qu’il exigea une petite hausse des tarifs de recrutement de ses mercenaires en août lorsque les trésoriers du roi vinrent recruter les Bandes du Léon et de Cornouailles. Cette petite vengeance ne mena à rien. Le jour de la St Michel, au dernier jour des Grands Jours de Rennes, François II annonça la transformation de cette cour de justice en Parlement.

Jean II de Rohan fut bien aise à l'automne quand sa femme lui apprit qu'elle était enceinte. Yann de Ranrouët, seigneur de Noirmoutier, vice-amiral de Bretagne le fut aussi quand il épousa la fille de Guillaume Chauvin, Isabelle, de 10 ans sa cadette. Ses témoins furent André de Lohéac et son ami Rohan. Enfin, Pierre Landais apprit que son fils se mettrait sur le chemin du retour à la nouvelle année. Son grand projet allait prendre forme.

jeudi 27 juin 2013

1475. Ep1. Le bâton ou la carotte.


Jacques III d'Ecosse, le pion surprise de Louis XI qui recevra à partir de 1474, une pension de 20000 écus de la France.
En Angleterre, Edouard IV reconstruisait lentement ses capacités navales. Les échanges avaient repris avec les bourguignons et la flotte bretonne semblait avoir disparu. Le roi avait réussi à rassembler une nouvelle escadre de vingt navires dans la Tamise et comptait l’envoyer à Douvres dés l’arrivée des beaux jours. Sa mission serait de protéger ses communications avec le continent. S’il avait réquisitionné quelques bateaux marchands, il avait aussi recruté en Flandres avec l’accord du Téméraire. Dix navires bourguignons devaient arriver à Calais au printemps. Charles lui promit aussi de revenir en Picardie dés qu’il aurait châtié les Suisses qui fomentaient troubles et désordres dans ses territoires et sur ceux de ses alliés. Jusqu’en février, Edouard IV essaya de séparer France et Bretagne. Il offrit à l’émissaire breton, Jean de Rohan, trêve, traité commercial avantageux et alliance matrimoniale. François demanda un temps de réflexion car il avait des engagements vis à vis de Louis XI et des Tudors, ennemis déclarés de l’Angleterre. L’attitude du duc ne surprit pas le comte de Rohan. Ménager la chèvre et le chou était devenu une tradition à la cour de Bretagne. Jean de Rohan savait pertinemment que son beau-frère ne changerait jamais de camp aussi facilement. Mais, comme tout chef d’état courtisé qui se respecte, François II fit monter les enchères jusqu’en février. Sa réponse arriva à Douvres, le 12 mars.
A Nantes, les propositions du roi d’Angleterre avaient fait sourire. Les subsides que Louis XI fournissait régulièrement au duché, étaient devenus une véritable manne pour nombre de bretons et pour le duc. Pierre du Pont - L’Abbé et ses bandes de Cornouailles et de Léon revinrent de Suisse pour les Vins du Duc. Le Baron de Rostrenen devint le bras droit du Maréchal de Bretagne, obtint un siège dans la Confrérie des Bandes et repartit avec le nouveau contingent de Bretons pour la France. Apprenant cette volonté de servir, le Roi de France fournit chevaux, armes et ravitaillement aux bandes de Retz et Nantes et l’envoya aider les Suisses. Pour la première fois, Louis XI conserva les compagnies de Vannes et Rennes pour servir à côté de ses Ecossais. Apprenant les discussions de l’Angleterre avec la Bretagne, Le monarque de France se déplaça jusqu’à Angers et rencontra François II. Il lui proposa la seule et unique chose qu’il désirait vraiment. Ce n’était ni la main d’Anne de France, ni un traité de commerce, ni des terres, ni un pénultième coffre plein d’or. Le 10 février, Louis XI offrit l’autonomie judiciaire. François sauta sur l’occasion et signa immédiatement le traité proposé dans lequel il était stipulé qu’aucune affaire de Bretagne ne serait jugée, ni examinée par le Parlement de Paris. Louis accepta aussi d’appuyer les bretons pour qu’ils obtiennent les iles anglo-normandes dans les négociations avec l’Angleterre. François II sortit réjouit de l’entrevue. Il ordonna la sortie de sa flotte et demanda à ses corsaires des actions plus vigoureuses.
A Londres, Jean de Rohan apprit la nouvelle avec stupeur et se présenta à Edouard IV le 4 mars pour l’anniversaire de son couronnement. Il lui déclara que le duc voulait la paix mais que liés à la France, les bretons restaient en guerre avec l’Angleterre jusqu’à la conclusion d’une trêve entre Edouard et Louis. Le 5 mars, la ville de Londres apprit qu’un émissaire d’Ecosse était arrivé dans la capitale. Il demanda et obtint audience au palais pour présenter ses lettres de créance. Le 10 mars, après les formalités d’usage, il annonça que le royaume d’Ecosse avait passé une alliance défensive avec la France. Edouard ne répondit rien. Louis XI avait réussi un coup diplomatique. L’Angleterre était seule et entourée d’ennemis. La nouvelle se répandit vite dans les villes et les campagnes. Le 12 mars, Yann de Ranrouët se présenta devant le port de Douvres. Il fit tirer à blanc ses navires, les uns après les autres. La cité fut prise de panique et une partie des habitants s’enfuit propageant la nouvelle d’un débarquement. Même si l’information fut vite démentie, Edouard IV comprit qu’il n’allait pas gagner cette guerre. Il demanda une trêve. Le traité de Douvres du 15 avril laissait à la Bretagne le contrôle des iles anglo-normandes dont le statut devait être fixé à la paix. La France obtenait la fin de l’alliance anglo – bourguignonne et une trêve de 6 ans. L’Irlande ne fut pas mentionnée dans le traité.
 

Château de Douvres

 

mercredi 26 juin 2013

1474. Ep6. Vers une 3ème manche ?

Lorsque les Malouins avaient envahis l’ile de Wight, les Londoniens avaient réagi avec énergie et détermination. Nombre d’entre eux s’étaient engagés dans les équipages de la flotte. Edouard IV, roi d’Angleterre et Seigneur d’Irlande, avait chevauché immédiatement jusqu’à Portsmouth mobilisant au passage toutes les bonnes volontés qu’il rencontrait. Si le raid avait fait craindre une invasion, la défaite à Calais du 23 juillet rendit la menace parfaitement crédible pour nombre d’habitants du sud de l’Angleterre. Un sentiment d’effroi se répandit dans les campagnes et dans la ville de Londres. Les Français arrivaient. Le Roi prit des mesures d’urgence. Il ordonna de réquisitionner les meilleurs navires marchands présents dans la Tamise et de maintenir les milices en armes jusqu’à l’arrivée des vents violents d'automne. Le Parlement accepta de financer ce nouvel effort. Dans le Kent, le Sussex, et le Hampshire, la population resta en armes toute la saison, s’entraînant et surveillant constamment le littoral. Si elle aperçut de temps en temps un navire battant croix noire ou fleur de lys, elle ne vit jamais une flotte arrivée sur les côtes et débarquée une horde de Français ivres de vengeance. Fin septembre, une violente tempête annonça la fin de l'été et des grandes opérations maritimes. Edouard démobilisa ses troupes et espéra passer l’hiver tranquillement à remettre en ordre flotte et défense. Mais les grognements se développaient en Angleterre et la populace manifestaient publiquement son dédain pour le roi. En raison des fortes pertes navales, des réquisitions et des troubles dans le commerce, Londres, Douvres et Calais connurent quelques incidents publics. A l’hiver, même s’il avait ramené un semblant de calme, Edouard avait mauvaise réputation et l’arrivée d’émissaires français et breton n’avait rien arrangé.

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Représentation de la Tour de Londres au XVè siècle. 
 
La flotte bretonne revint dans ses ports rapidement après la bataille de Calais. André de Lohéac succéda à son compère Jean Quelennec dit le Vieux et on lui donna immédiatement le surnom de son prédécesseur. Se considérant comme trop âgé, André ne souhaitait plus prendre la mer. Mais, il fut nommé Seigneur de la Mer en charge du maintien et de la direction générale de la flotte bretonne. Ce titre supplantait celui des Amiraux de Bretagne. Le Seigneur de la Mer siégeait à Port-François et menait les services et la stratégie de la marine bretonne. Il était aussi le président du conseil de guerre de Bretagne en l’absence du Duc. Quelennec le Vieux, malade, se retira et mourut aux premiers frimas. Pour lui rendre hommage, André de Lohéac nomma un des nouveaux navires de son prénom : Le Vieux Jean, caraque de guerre de trente canons servie dans la marine bretonne jusqu’en 1540. Le duc promut Quelennec le Jeune au rang de vice-amiral, sans lui accorder les droits de l’amirauté qui revinrent au Seigneur de la Mer. Yann de Ranrouët prit en charge la Grande Escadre de Morlaix qu’André de Lohéac porta à 40 navires. A Port-François, Quelennec le Jeune commandait 10 bâtiments de la dernière génération. Il était chargé de leurs entraînements et de leurs améliorations. André de Lohéac voulait ainsi sanctuariser le Golfe de Gascogne et la Mer d’Iroise tandis que la Grande Escadre devait bloquer toute pénétration anglaise dans les eaux de Bretagne. Il entama aussi une étude des différents ports de la Bretagne Nord car depuis deux ans, le port et le chantier de Morlaix étaient constamment surchargés. Il fallait trouver un site approprié pour y développer un Port Ducal. Enfin, cannibalisant les prises anglaises et grâce aux fournitures navals en provenance de la Hanse, le Vieux réussit à porter la flotte bretonne à 60 navires. Elle comprenait dix caravelles garde-côtes, 8 caravelles d’escadre et 42 carvels, nom que le vieux attribua aux nouvelles caraques de guerre. La flotte bretonne passa la fin de l’été à patrouiller la Manche mais surtout à réparer les navires endommagés et à se réorganiser. Après l’équinoxe d’Automne, Quelennec le Jeune emmena son escadron vers le sud. Il embarquait les ambassadeurs du Duc auprès des puissances ibériques et de la papauté.

A la fin aout, Louis XI décida d’envoyer des ambassadeurs en Angleterre pour demander une trêve. Depuis la bataille de Calais, il pensait qu’Edouard IV n’avait plus les capacités de mener des actions sur le continent pour au moins deux années. Les Irlandais et les Bretons faisaient le travail pour lui. Ils avaient battus une flotte anglaise et auraient le champ libre l’année prochaine dans la Manche et la mer d'Irlande. A la toussaint, il envoya au duc les financements pour la flotte de Bretagne ainsi que pour le recrutement des Bandes de Retz, Rennes, Vannes et Nantes. En Angleterre, Philippe de Commynes et Jean de Rohan, émissaires de Louis XI et de François II, rencontrèrent de nombreuses résistances. Pourtant, Louis XI ne demandait qu’une trêve de plusieurs années et le Duc de Bretagne le contrôle des iles anglo-normandes. Mais, les Anglais ne désiraient pas la paix. La situation financière et militaire du royaume d’Angleterre était difficile. Cependant, le peuple, les marchands et la noblesse ne pensaient qu’à obtenir réparations de la France et de la Bretagne pour les pertes humaines, territoriales et navales des années précédentes. En décembre, lors d’une audience royale, Edouard IV demanda non seulement le retour des iles anglo-normandes mais aussi, celui de l’Irlande sous l’autorité de son seigneur légitime. En coulisse, il déclara que cette déclaration avait juste pour but de calmer la rue et qu’il était prêt à continuer les pourparlers. Philippe de Commynes et Jean de Rohan étaient sceptiques car ils connaissaient les préparatifs navals et militaires qui se déroulaient dans la Tamise et à Douvres. Apprenant cette situation, le roi de France décida d'employer toutes les armes diplomatiques dont il disposait. Le 18 décembre, trois courriers partirent le long de la Seine, vers la Manche.
Le Palais Royal du Louvre au XVè siècle, représentation tirée des Richesses Heures du Duc de Berry.

 

 

mardi 25 juin 2013

1474. Ep5. Real Politik


A Neuss, Charles le Téméraire échoua tout l’hiver à obtenir la reddition de la ville. La cité protégée par ses vastes douves et sur une île du Rhin, ne pouvait être approchée que par des ponts enjambant deux îlots. Malgré d’importants travaux de siège, Charles piétinait devant les défenses de la cité. Celle-ci était ravitaillée par la rivière grâce à une noria de barges qui arrivait de Cologne. Si les Bourguignons réussirent à conquérir les iles et à y installer des batteries, les inondations de l’hiver les en chassèrent. Au printemps, ils avaient tout à refaire alors que la crue de Rhin diminuait. Le Téméraire tenait sa cour sous la tente et y menait grand train. Il recevait ambassadeurs et courtisans qui venaient de toute l’Europe pour obtenir ses faveurs. Mais il restait sur le qui-vive car l’empereur Fréderic III approchait. L’ost impérial n’avait rien de comparable avec celle du Bourguignon. Malgré les subsides de Louis XI, elle ne se composait que du ban féodal, de milices urbaines et de la cour de l’empereur. Même si nombre de Princes de l’Empire accompagnaient Frédéric et rêvaient de rabaisser le toupet du duc de Bourgogne, l’Empereur savait que sa puissance n’était pas militaire, mais diplomatique. Il n’avait pas les moyens de faire la guerre, ni de risquer une défaite qui compromettrait son fragile pouvoir. Mais il savait que Charles cherchait à obtenir plus de légitimité et était prêt à accepter beaucoup, juste pour être reconnu. Bloqué depuis 10 mois devant Neuss, le duc de Bourgogne voulait en finir d’autant plus qu’il commençait à avoir du mal à payer ses mercenaires et il s’inquiétait de la situation dans ses domaines. Les deux monarques étaient dans une impasse.

Frédéric III, Empereur du St Empire Germanique.
L’Empereur s’avança vers Neuss et après quelques escarmouches de pure forme, il installa son camp à une journée de celui du Téméraire. Les négociations aboutirent à un compromis qui ne satisfit aucun des partis mais permit aux deux protagonistes de sortir du cul-de--sac dans lequel ils se trouvaient. Frédéric III refusa de soutenir Charles dans ses ambitions impériales. Mais, il accepta que leurs enfants se fiancent. Marie de Bourgogne devint la promise de Maximilien de Habsbourg. Frédéric n’en refusa pas moins de lui laisser le contrôle de l’archevêché de Cologne. Charles et l’Empereur se quittèrent tous les deux mécontents. Frédéric se sentait humilié par la richesse et l’audace de son vassal tandis que Charles revint frustré et désabusé car il avait compris que Frédéric ne lui accorderait jamais rien. Il avait perdu du temps et ses ennemis s’en donnaient à cœur joie.
Au sud, les terres bourguignonnes connaissaient des temps difficiles. La Franche-Comté avait connu une année infernale en raison des raids de Pierre du Pont-L’Abbé. Les villes d'Alsace avait pris leur indépendance et se liait de plus en plus avec les Suisses malgré la pression de Sigismond d’Autriche. En lorraine, Renée II avait tourné casaque. S’alliant avec Louis XI, il expulsa les troupes bourguignonnes de son duché. Libéré de la menace anglaise, le roi de France avait lancé une offensive dans le Luxembourg et en Picardie pour déloger les garnisons du duc. Enfin, les Suisses entamèrent la conquête du pays de Vaud pour dégager les accès aux foires de Genève et de Lyon. Ils mettaient ainsi en difficulté le plus fidèle allié de Charles, la Savoie. La situation stratégique des Etats Bourguignons était catastrophique.
Quittant enfin Neuss, le 27 juin, le duc revint en ses états et dirigea son armée sur Namur. il lui fallait absolument mettre à bas la Lorraine qui coupait en deux ses territoires et pour cela, mettre fin à l’attaque de Louis XI. Il envoya donc des diplomates. Louis XI accepta car dans le midi, les nobles et les habitants du Roussillon n’acceptaient toujours pas sa politique et poussés par les agents de Jean d’Aragon, étaient de nouveau, en pleine révolte. Louis XI laissa donc la Lorraine, Les Suisses et les Alsaciens se battre seuls avec l’appui de quelques mercenaires bretons qu’il fournissait. Cette petite trahison lui permettait de concentrer l'ensemble de ses forces dans le sud. De même, Charles délaissa ses alliés aragonais et anglais pour faire face à la plus grande menace, la défection de la Lorraine. Le 13 septembre, Charles et Louis signèrent une nouvelle trêve à Soleuvre de 9 ans.


Mercenaires Suisses franchissant les Alpes.
A partir de Namur, les bourguignons menèrent une campagne d’automne exceptionnelle. Ils s’emparèrent de l’ensemble de la Lorraine en quelques mois et y placèrent des garnisons. Le 30 novembre, le Téméraire entra en grand apparat à Nancy et épargna la ville car il venait d’y convoquer les Etats de Lorraine. Lors de cette réunion, le duc obtint un serment de fidélité des représentants lorrains et leur promit de faire de Nancy sa capitale. Mais, pendant ce temps, les Suisses avaient attaqué le Pays de Vaud, ravagé les campagnes, détruit nombre de châteaux de ce pays et installé des garnisons dans Grandson et Morat. Leur brutalité indigna le duc de Bourgogne. Les Suisses avaient ainsi libéré les accès à Genève et Lyon que la Savoie interdisait aux marchands étrangers. Mais, ils avaient  aussi coupé l'accès du Téméraire à l'Italie et à ses mercenaires. En Franche- Comté, Pierre du Pont-L’Abbé tenta de ralentir les forces bourguignonnes qui se concentraient près de Besançon. S’il réussit à bloquer de nombreux raids, les Alsaciens savaient qu’il ne pourrait rien contre l’ost bourguignon et décidèrent de négocier avant de subir la fureur du duc de Bourgogne. Une trêve fut donc conclue sans les Suisses. 
 
 
 
 

lundi 24 juin 2013

1474. Ep4. Seconde Manche.

Les premiers incendies qui furent déclenchés pendant cet été - là s’embrasèrent en Irlande. Henry Tudor et Tadgh Liath MacCarthy mirent les frontières de l’Ulster à feu et à sang à partir du mois d’avril. Puis, ils passèrent à l’offensive en juin. Alors que la flotte de Jasper Tudor assurait le ravitaillement de l’armée, les troupes entraînées par les Bandes du Trégor et du Penthièvre progressèrent lentement vers le nord et assiégèrent Belfast à partir du 10 juillet. Si la prise de la cité, le 3 aout, sonna le glas de la résistance sur la cote est de l’Ulster, le roi du Tyrone, Henry O’Neill poursuivit le combat. Son clan ne baissa pas les armes malgré sa défaite à Portglenone le 27 et il lança raids et pillages sur les territoires que contrôlaient Henry Tudor et ses alliés. L’armée d’Irlande arriva sur la Foyle le 1er septembre. La mise en place d’un blocus naval par Jasper Tudor permit la reddition de Derry, le 7. A l’automne, Henry Tudor y installa une forte garnison et mit son armée en quartier d’hiver autour de Belfast. S’il contrôlait les littoraux et les ports de l’Ulster, Henry n’avait pas rallié l’intérieur des terres. Pourtant, les forces du clan O’Neill déclinaient rapidement. les désertions se multipliaient. En septembre, Henry Tudor envoya son oncle Jasper en Bretagne acheter du blé. La guerre avait ruiné l’agriculture dans le nord de l’Irlande et Il voulait gagner les populations à sa cause.
Bristol médiéval.
 
Après son succès à l’ile de Wight, Jacques Danycan passa juillet à St Malo où il procéda aux essais de sa nouvelle caraque. Puis, il mit les voiles vers le canal de Bristol où il tenta de surprendre l’escadron anglais qui s’y trouvait depuis un an. Si Jacques Danycan prit quelques navires marchands, l’escadre anglaise resta à l'abri dans la Severn malgré ses pillages de la côte galloise et cornouaillaise. En septembre, le Gouverneur retourna en Bretagne puis il prit le chemin des iles anglo-normandes pour y passer l’hiver.
A l’Ecluse, 20 navires marchands bretons attendaient le grand convoi du nord. Les négociants d’Armorique firent rapidement leurs affaires, échangeant vins, toiles et draps contre les denrées de la Baltique. Grâce à la protection de l’escadron de Yann de Ranrouët, ils eurent des conditions préférentielles dans les échanges et une bonne partie des cargaisons de la Hanse finit entre leurs mains. Cela indigna les commerçants de Bruges qui durent payer le prix fort et qui s’empressèrent de renseigner la flotte anglaise à Calais. Celle-ci appareilla dés le 11 juillet et se tint en embuscade prête à fondre sur la flotte marchande bretonne. Les 30 navires bretons ne sortirent de la rade de l’Ecluse que le 17 juillet. Dés le départ, Yann de Ranrouët s’inquiéta car les navires marchands n’étaient pas aussi modernes que les siens et louvoyaient moins bien contre les vents d'ouest. Sa progression était donc très lente et il devait régulièrement attendre les moins rapides pour éviter de faire des retardataires des prises faciles. Le 23 au matin, ses équipages aperçurent la flotte anglaise dans la pire des position. Elle arrivait toutes voiles dehors et elle avait le vent pour elle. Yann sut de suite qu’il était surclassé. Ses bâtiments s’interposèrent entre les caraques anglaises et celles des marchands. Les navires bretons ne réussirent à lâcher qu’une seule bordée qui fit des dégâts importants mais insuffisants. L’avant-garde anglaise prit d’assaut l’escadre de Yann. Les équipages de la Bretagne se défendirent avec furie. Les franc-archers, vétérans de la Solent, de Méditerranée et des raids en mer d’Irlande menèrent les marins et formaient des môles de résistance sur toutes les caraques de guerre. Chacune d’entre elles se vit rapidement attaqués par deux navires anglais. Si la situation était désespéré pour les navires du duc, les marchands mal protégés fuyaient vers l’est pourchassés par dix bâtiments de sa majesté anglaise.
Mais de nouvelles voiles apparurent à l’ouest et elles portaient des croix noires. André de Lohéac arrivait à la rescousse.

La bataille de Calais. Fin d'un navire anglais.

 

L’avant- garde de Quelennec le jeune arriva la première. Les agiles caravelles canonnèrent au passage les caraques qui assiégeaient les navires de Ranrouët. Puis elles filèrent au secours des navires marchands. Deux par deux, elles s’attaquèrent aux lourds vaisseaux anglais qui viraient désespérément vers le nord-est. Le corps de bataille de Lohéac approcha plus lentement mais son action fut bien plus dévastatrice. La bordée bretonne endommagea suffisamment les anglais pour faciliter les abordages et les contre-attaques des équipages bretons. 
Dans les combats qui se prolongèrent tard dans l’après midi, les 40 bâtiments bretons submergèrent les navires de sa majesté et prirent 15 navires. Six autres coulèrent corps et âmes tandis que la Edouard par la Grâce de Dieu, caraque amiral de la flotte anglaise explosa emportant avec elle le St Yves. Deux jours plus tard, il ne revint dans la Tamise que 8 bâtiments et 2400 membres d’équipages. Les pertes bretonnes s’élevaient à deux navires de guerre, le St Yves et la petite St Anne d’Auray ainsi qu’à un marchand. Mais les blessés et les morts se comptaient par centaines sur les ponts de l’escadre de Yann. La flotte retourna à l’Ecluse pour réparer, se réorganiser et se ravitailler. André de Lohéac répartit ses équipages sur les prises et renforça les bâtiments de son jeune collègue. Puis précédée par l’escadron de Quelennec le Jeune, la flotte de Bretagne qui maintenant comptait 51 navires de guerre et 19 marchands vogua tranquillement vers St Malo.
La fin du St Yves et de l'Edouard par la grâce de Dieu