Yann survécut à sa chute et à la longue bataille de rues qui suivit. Le pillage de la ville dura jusqu’au matin. S’introduisant dans une maison sur la place de la collégiale, il trouva un marchand, sa femme et leurs enfants cachés dans le cellier. Il s’empara d’abord d’une bouteille de vin pour étancher sa soif puis regarda longuement l’homme de la maison. Malgré la différence de langue, Yann lui fit comprendre qu’il pouvait préserver sa famille et son logis en échange du lit, du couvert et d’une bourse très large et très profonde pleine d’écus d’or ou d’argent. Les cris de sa femme, la terreur de sa fille, les sanglots du petit, l’arrivée d’Yvon et ses vêtements dégoulinants de sang poussèrent le marchand à une grande générosité. Deux sacs bien remplis atterrirent sur la table. La tension de la journée tomba de ses épaules. Yann se mit à trembler de tous ses membres. S’agrippant aux sacs et à sa bouteille, il se traîna sur le pas de la porte d’entrée où il se laissa tomber. Il fourragea dans les sacs, y pêcha une poignée d’écus et testa leur qualité, un à un, d’un coup de croc. Yvon le rejoignit dans la rue avec, dans les mains, les bijoux de la propriétaire. Ils furent pris d’un fou rire. Ils étaient vivants. Une cinquantaine de bretons menés par le Sieur de Kérouzéré s’approcha d’eux. Le seigneur estima la maison d’un coup d’œil, leur dit de la réserver pour son coucher puis ordonna à ses compagnons de bloquer la rue et d’en virer les soldats ne portant pas la croix noire. Comme un grand coup de balai, les mercenaires repoussèrent les soldats bourguignons et rassemblèrent les habitants au centre de la chaussée. Puis, ils entrèrent trois par trois dans les maisons. Rapidement, des piles d’objets de valeurs s’élevèrent devant chaque demeure : coffres éventrés, plats divers, chandeliers d’argent, tapisseries, vêtements fins, victuailles et tonneaux de vins se retrouvèrent dans le caniveau. Une table fut dressée devant le domicile gardé par Yann et Yvon. Un clerc y rédigea l’inventaire des objets pillés. Puis, ils furent chargés dans deux chariots. La besogne fut rondement menée et au milieu de la nuit, le Sieur de Kérouzéré revint escorté de deux porteurs de torche et d’une fille du voisinage qu’il coucha dans le lit du bourgeois. Yann et Yvon dormaient dans la salle commune quand Odilon Verjus, aumônier de la compagnie, surgit dans la maisonnée hurlant qu’un incendie se répandait depuis le nord. Si la plupart des soldats se retirèrent hors les murs, la garde ducale et la bande de Bretagne sous les ordres du Comte de Charolais établirent un cordon de sécurité autour de la collégiale et s’employèrent à sauver la partie sud de la ville en abattant les maisons à la hauteur du pont sur la Meuse. A l’aube, les Dinantais erraient hagards parmi les décombres calcinés et la collégiale surplombait un champ de ruines et de cendres. Les pillards revenaient par petits groupes. Ils étaient accompagnés par des habitants de Bouvigne, éternelle rivale de Dinant, qui désiraient se venger des exactions commises par les rebelles. Les habitants les plus malchanceux furent massacrés d’horrible manière : noyés attachés deux à deux. D’autres furent pourchassés entre les pans de murs écroulés. La plupart s’enfuirent. Il fallut l’intervention du Comte de Charolais pour que le massacre cesse. Le 26, au soir, paradant dans la ville ruinée, Philippe le Bon montrait à tous que la puissance des villes de Flandres ne pouvait rivaliser avec la sienne. Liège s’était rendu, Dinant était châtié, la révolte était écrasée. Le Duc dominait sans partage. Début octobre, à Anvers, la bande bretonne reçut son congé du duc de Bourgogne qui promit de les réengager. Le voyage se déroula sans encombre jusqu’à St Malo où la compagnie se dispersa. Lors de l’avent, le Sieur de Kérouzéré regroupa la moitié de sa compagnie et il promut Yann La Roche au rang de second. Ils partaient pour le nord.
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