Une troupe de cavaliers trottait sur la route de Guérande à Clisson. Le crachin pesait sur les lourdes capes de laine. Le duc François pestait contre le vent et cette pluie fine qui pénétrait jusqu’à ces chausses. L’année avait pourtant bien commencé et il avait passé des fêtes excellentes. Malgré un certain endettement, il avait les fonds nécessaires pour ses petits plaisirs et ceux de sa maitresse. Son fils grandissait. Seule, sa femme lui causait du souci. Elle semblait ne plus pouvoir enfanter malgré tous ses efforts. Elle était constamment alitée depuis l’automne. Le duc était sur le chemin du retour. Il avait passé la semaine à Guérande où il avait rencontré les principaux marchands de sel de son duché. Ce séjour avait été désagréable. Loin de la douceur nantaise, de sa maitresse et de son fils, le duc s’était ennuyé ferme en compagnie de marchands chicaniers et pinailleurs qui n’espéraient que profits et bénéfices. Il avait fait tout cela pour ne plus entendre son trésorier général Pierre dire qu’il n’avait pas assez d’argent. Soupirant, il se dit que le duché était sorti plus fort et plus riche de cette réunion.
Pierre Landais souriait. Le duc avait cédé. Sa cour assidue, sa capacité à lever des fonds pour les plaisirs du duc et quelques remarques habiles et bien placées avaient créées cet évènement. Pierre Landais voulait renforcer le duché de Bretagne et lui rendre la splendeur du royaume breton du Xè siècle. Bien sûr, sa fortune en profiterait. Ainsi, sa Trésorerie générale avait gagné un nouveau poste : celui de Receveur général des Devoirs (impôts indirects). Il allait confier ce travail à un homme de confiance et en tirerait des bénéfices politiques et financiers. Il avait tout le temps pour y penser. Mais ce soir, il comptait se détendre. Cette semaine de négociation avait été rude d’autant plus que le chancelier du duc Guillaume Chauvin intriguait contre lui. Pour Pierre, le chancelier aimait trop la cour de France et n’avait pas compris qu’il valait mieux être un grand parmi les petits qu’un petit parmi les grands, surtout français. Les satisfactions et les possibilités étaient bien plus nombreuses chez les « petits bretons ».
Pierre Landais, Trésorier général du duché de Bretagne. |
Le Chancelier lui râlait profondément dans sa barbe. Il avait perdu ce combat. Ces tentatives pour contrer le trésorier n’avaient pas fonctionné. Les marchands demandaient trop. Foutus financiers qui exigeaient baisse générale des taxes, fin des péages ou encore un état des marchands au Etats de Bretagne ! Un d’entre eux aurait même parlé de charte de commerce dans une auberge. Ces hommes avaient trop de puissances, trop de prétentions et ils en gagnaient de plus en plus ! Si la ligue du bien public avait ralenti le commerce, il avait repris plus intensément dés le retour du printemps. Le recrutement des bandes n’était qu’un camouflage pour des opérations mercantiles. Certains nobles s’engageaient même dans le commerce du vin, d’autres finançaient des forges. Une honte, un déshonneur ! Il faudrait renforcer la tradition et revenir aux vraies valeurs de la noblesse comme en France !
Un quatrième cavalier chevauchait pesamment derrière les trois hommes les plus puissants du duché de Bretagne. André de Lohéac n’était plus très jeune. Il n’avait ni sa souplesse d’antan, ni l’entrain habituel. Le traité d’Etampes avait été une déception, il n’était pas rentré en grâce auprès du roi de France. Ses succès à Montlhéry et à Pontoise avaient joué contre lui. Le roi lui avait redonné accès à ses biens français mais refusait de le recevoir à la cour. N’étant plus ni amiral, ni maréchal de France, ses pensions et ses pouvoirs avaient disparus. Il s’en était donc retourné dans le pays de Retz et le duc l’appelait de temps en temps à la cour pour profiter de sa compagnie. Bon vivant comme le duc et appréciant la compagnie de François II, le maréchal de Lohéac s’interrogeait sur son avenir. Qui lui offrirait les meilleures opportunités à l’avenir ? Devait-il faire le pas décisif et demander à se mettre au service de la Bretagne ? Louis XI ne lui pardonnerait pas s’il se rangeait dans le camp breton avant de regagner la grâce royale. Ayant assisté aux négociations d’Etampes, André de Lohéac savait que le roi menait son royaume d’une main de fer dans un gant de velours. D’un autre côté, le duc était ouvert et aimable mais peu intéressé par son gouvernement. François II lui demandait encore conseil lors d’affaires militaires mais jamais officiellement pour ne pas contrarier le maréchal de Bretagne. Pourtant, le duc pourrait lui offrir une liberté d’action que l’araignée française n’accordait à personne et André avait quelques idées personnelles à réaliser de son vivant.
Pendant ce temps, à Clisson, le trésorier des guerres consultait le compte-rendu de la réunion apporté par un messager. Le duc avait pris les bonnes décisions pour mieux contrôler le commerce. Mais la contrepartie était bien plus intéressante. François II et le trésorier général avait essayé de concocter un système de mercenariat naval par l’usage des lettres de marque et de représailles. Certes, François II devra baisser le tarif des lettres de marque d’un tiers et ne percevra qu’un huitième de la valeur des prises. Mais les corsaires devront embarquer et solder une dizaine de franc-archers qui tiendront un double du journal de bord. De plus, ils pourront se faire engager par des puissances étrangères avec l’autorisation des autorités ducales. Ils devront verser un douzième de leur part de prises au duc et embarquer le même nombre de franc-archers. Il constata que les autres modalités étaient les mêmes que celles du contrat des bandes. Le trésorier se doutait bien que le contrôle serait peu efficace. Mais, si ça marchait, cela créerait de facto le noyau privé d’une marine de guerre. Lohéac avait vraiment des idées contagieuses.
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