François II et Jean II de Rohan ne se comprenaient pas et ne se comprirent jamais. Guillaume Chauvin mit ça sur le compte de la différence d’âge. 19 ans séparaient le duc du comte. Pierre Landais analysa fort bien les deux tempéraments et comprit très tôt que le duc et le comte représentait deux mondes qui ne s’accommoderaient jamais l’un à l’autre. Les historiens reprennent généralement son avis pour expliquer la situation qui se développa en ce printemps - là. A la différence des autres nobles du duché, Jean de Rohan naquit dans la famille d’Alain IX le Bâtisseur qui reconstruisit les châteaux de Pontivy et de Josselin. Il est bien plus connu de nos jours par ce qui fut sa réelle originalité : Alain IX était un maître forgeron. Il développa le nord du Vannetais en exploitant ses forets pour le charbon de bois et en créant des ateliers sidérurgiques dans son comté de Rohan. Quand Jean atteignit l’âge de dix ans, Alain IX décéda. Eduqué à Josselin, le jeune jean fut constamment entouré d’hommes et de femmes qui cultivèrent chez lui l’admiration qu’il portait à son père décédé. Nombre d’entre eux, du clerc au charbonnier, avait obtenu protection, travail, terres et parfois pensions des mains de son père grâce aux forges. Ce que retint Jean du comportement paternel était que ses terres ne lui donneraient jamais le pouvoir que les autres grandes familles, les Rieux, les Montmorency-Laval ou les Montfort tiraient de leurs fiefs mais que sa puissance se trouvait dans ses vassaux et dans leurs industries. Il décida donc de poursuivre la tradition paternelle. S’il restait un grand seigneur qui défendait farouchement son honneur, portait fièrement armure et armoiries, connaissait sur le bout des doigts le maniement des armes et entretenait une suite nombreuse, il ne jetait pas l’argent par les fenêtres comme le duc, n’appréciait que modérément la chasse à l’inverse du duc qui courraient tout ce qui portait fourrure, détestait les joutes alors que le duc adorait le choc des armures, abhorrait faire la cour aux dames tandis que le duc avait maîtresses et s’ennuyait ferme dans les banquets où étaient racontés toujours les mêmes prouesses de chevaliers, prouesses que le duc trouvait si vraies. Ainsi, le discours que Jean donna en 1467 à Vannes sur l’importance du commerce stupéfia François II, décontenança le chancelier et fut une bonne surprise pour le trésorier général qui pestait dés qu’on lui demandait quelques sous. Ce contraste aboutit à la situation rocambolesque du printemps 1468.
Quittant ces travaux d’architecture militaire pendant le printemps, François II décida de rendre visite à son beau-frère de 16 ans à Pontivy. Les retrouvailles des deux sœurs, l’accueil joyeux de Jean, l’abondance de vin ainsi qu’une longue discussion sur les tours d’artillerie (nouvelle marotte du duc qui voulait en construire dans toutes les forteresses de la marche de Bretagne) firent naître une complicité que François croyait acquise. Le lendemain, tard levé, François fut bien surpris quand on l’informa que le comte n’était pas au logis et qu’il était parti inspecter ses forges dans la forêt voisine. Il le fit mander et en bon vassal, Jean arriva au galop…couvert de suie et en tablier de forgeron. La discussion qui s’en suivit fit retraiter les deux sœurs dans les appartements de la comtesse. L’après-midi, le duc chassa avec succès dans la forêt domaniale du comte qui suivait sans enthousiasme. Le banquet du soir fut morne et finit mal. Après quelques remarques sur le beau gibier qu’il avait levé, François se tut. Pour entretenir la conversation, Jean crut bon de discourir sur la gestion de ses forêts puis il enchaîna sur les nouveautés qu’il apportait à ses fiefs et les richesses qu’il espérait en tirer. Dans son enthousiasme, il ne remarqua jamais que le duc avait posé son verre et le regardait fixement. Lorsqu’il aborda sa décision de diminuer la corvée féodale dans le Léon, François fit les yeux ronds puis fronça les sourcils. Dans un soupir, il se leva, lâcha un « nous partons demain » et ordonna qu’on le servit dans sa chambre avant de claquer la porte. Au matin, Jean, fort rouge et tout contrit, ne put approcher le duc qu’au moment où il montait à cheval. Les adieux furent froids et François partit dans un nuage de poussière. Guillaume Chauvin informa alors le comte de sa disgrâce. Il ne pourrait paraître à la cour de Nantes que s’il abandonnait ses projets de transformer les preux chevaliers en avides marchands et en indélicats compagnons du devoir. Le comte écrivit une seule et unique fois à son suzerain demandant humblement son retour en grâce mais précisant qu’il était dans son bon droit car il respectait la coutume de Bretagne où les nobles pouvaient être maîtres de forge ou maîtres-verriers. Par courrier, le chancelier excusa ses errements de jeunesse, lui fit une petite leçon de diplomatie et lui signifia gentiment que possession du titre de maître ne voulait pas toujours dire pratique de l’art. Il lui retournait aussi son courrier qu’il n’avait pas présenté au duc et le suppliait de prendre un ton plus conciliant et d’éviter toute précision à une certaine coutume. Le comte lut la missive à sa femme, grommela un peu, regarda sa dame qui souriait jusqu’aux oreilles en serrant les dents et lâcha un « Si ça peut lui faire plaisir ! ». Il déposa la lettre sur sa pile de courriers à traiter et s’en alla visiter un moulin à papier. La missive ne fut retrouvée que quatre jours plus tard par un clerc sous un projet de moulin, un autre de quai à Brest et un troisième d’achat d’une invention allemande : l’imprimerie. Informée par ses dames de compagnie, la comtesse prit les choses en main, fit rédiger une lettre sur le meilleur parchemin, joua de ses charmes pour distraire le comte pendant la signature du courrier et la lettre dument scellée, fit galoper un jeune écuyer jusqu’à Clisson. Une semaine plus tard, alors qu’il étudiait le dessin d’un étonnant gréement portugais, le comte reçut l’invitation habituelle de venir fêter l’anniversaire de son jeune cousin. Le 29 juin, le comte offrit deux canons miniatures au jeune Jean et lui affirma qu’il les avait forgés lui-même. Si le futur Jean VI lui lança un regard plein d’admiration, le duc, dodelinant de la tête, lâcha dans un souffle un « Indécrottable, ce Rohan ! » que seul, le trésorier entendit et qu’il confia à son journal, le soir même. A partir de ce jour, le duc laissa le jeune Rohan vaquer à ce qu’il considérait comme des lubies tandis que le jeune comte délaissa jusqu’à l’âge mûr, les affaires politiques du duché. La comtesse s’en contenta fort bien car elle accompagna son mari dans la plupart de ses voyages autant pour lui éviter ce genre de faux-pas que par plaisir.
Marguerite de Bretagne, femme de François II et médiatrice régulière entre le duc et son beau-frère. |
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