En Picardie, l’arrivée d’une bande de cisterciens crasseux était un évènement important mais qui restait banal. Membres d’un ordre monastique très répandu dans l’occident chrétien, ces moines crottés devaient se rendre dans un de leurs monastères pour y étudier les saintes écritures, recopier des livres d’heures précieux ou pour y faire étape sur le chemin de Rome. Quelques habitants d’Abbeville vinrent aux nouvelles cherchant un confesseur ou espérant un prêche qui pourrait réconforter leurs cœurs et leur foi chahuter par l’omniprésence des guerres, des pestes et de la famine. En fait, personne n’avait fait attention à la puissante stature des deux tiers d’entre eux, ni aux trois mules surchargés de coffres et de ballots qui les accompagnaient, ni aux lourdes bottes qui dépassaient des robes de bures. Mais, quand ces cisterciens entrèrent dans la meilleure auberge de la ville, demandèrent bains, chambres, vins et volailles et que le barbier fut convoqué, la petite ville picarde d’Abbeville s’interrogea sur ces hommes si dispendieux et si peu respectueux de la modestie monastique. L’étonnement augmenta encore quand le barbier reparut et affirma n’avoir tonsuré personne mais bellement taillé barbes et longs cheveux. La surprise des habitants fut à son comble quand le premier cistercien décrotté portant épée, chausses, bottes, pourpoint et cape sortit de l’auberge et se rendit chez le plus gros fermier de la banlieue, y négocier une dizaine de fières et fraîches montures. Enfin, les habitants furent ébahis quand, alerté par la rumeur populaire, l’éminent représentant de l’autorité du Duc Philippe fut rudement accueilli, traîné à l’étage de l’auberge par deux cisterciens très gaillards et renvoyé séance tenante en mission hors de la cité. Malheureusement pour les plus curieux, il leur fallut encore attendre vêpres pour apprendre que le noble le plus endetté de France, le seul duc sans duché, le seigneur français le plus rebelle à son suzerain et, accessoirement, l’héritier du trône de St-Louis se trouvait en leur bonne ville picarde. Charles de Berry venait demander asile à son bon oncle Philippe et à son téméraire cousin Charles.
Depuis son lit de vieillard, Philippe le Bon déclara qu’il ne voulait pas s’embarrasser de Charles. Mais, son fils qui détenait effectivement les rênes du pouvoir, décida d’envoyer son cousin dans une petite ville proche de Bruxelles et de lui fournir quelques deniers pour qu’il puisse mener vie princière. Et c’est, ainsi, qu’à partir de février 1467, Charles de Berry dormit dans le lit qu’avait occupé son frère au château de Genappe. Encore une fois, la Bourgogne contrôlait l’héritier du trône.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire