vendredi 31 mai 2013

1469. Ep3. Les Humeurs de Charles.

La reconduction de l’alliance de la Bretagne et de la France mit en rage le téméraire. Il n’avait pas escompté que François II puisse miser sur un roi dont la puissance avait été égratignée. Il est vrai que la nouvelle lui parvint lors de l’Assemblée Solennelle (nom des Etats de Bourgogne) de Bruxelles où il devait faire face à la mauvaise volonté des représentants des villes wallonnes. Gand, en particulier, rechignait à payer son dû. Cela l’obligea à rassembler une armée et à se présenter devant la ville. Ayant retenu la leçon de Dinant et de Liège, les Gantois ouvrirent leurs portes. Charles n’extermina pas la population bien qu’il aurait bien fait un nouvel exemple avec les têtes des échevins. Il décida de priver la ville de ses droits et libertés. Occupée par des troupes mercenaires, la cité avait perdue toutes velléités de résister et accepta la mansuétude de son seigneur qui y installa un gouverneur à sa solde.
Pendant le reste de l’hiver et du printemps, le duc termina la réorganisation de son armée et la dota, outre d’une cavalerie à la française, d’une infanterie qu’il engagea dans les milices des villes wallonnes. Célèbre pour avoir défait les chevaliers français, ces unités de piquiers plaisaient au duc. Le caractère offensif et destructeur de cette formation donnait à son armée une image de puissance, image qu’il désirait se donner pour dissuader les rois et empereurs voisins de toute ingérence. La succession d'ordonnances qu’il prit pendant cet hiver, créa la meilleure armée d’Europe. Armée de professionnels qui étaient en demi-soldes en temps de paix, l’armée bourguignonne devait s'articuler en compagnies d’ordonnance bien supérieures à celle de la France. Il organisa celles-ci en 100 lances de 9 hommes qui s’articulaient ainsi : 1/3 d’hommes d’arme, 1/3 d’archers montés et 1/3 d’hommes à pied. Il prit ces ordonnances à Abbeville en mars où il surveillait la mise en défense de la ville contre la piraterie. Sur le papier, cette armée était la mieux équilibrée d’Europe. Mais la lenteur administrative du duché de Bourgogne et l’absence des fonds nécessaires à son organisation empêchèrent qu’elle soit réunie avant l’année 1471. Fort impatient, Charles obtint, tout de même, en 1469, un recensement des capacités militaires de ses vassaux et de leurs états physiques. Bien qu’elle soit issue de la convocation du Ban, l’armée qu’il passa en revue en novembre était composée des plus aptes et des mieux équipées de ses vassaux : une force respectable de 25.000 hommes. Il en fut fort heureux.
Cette année-là, le duc de Bourgogne orienta sa politique étrangère vers l’est et le sud. Il désirait une couronne et il prit de nombreux contacts dans le Saint Empire Romain Germanique qui seul, pouvait la lui accordée. Il envoya Philippe de Commynes à la rencontre de l’empereur pour le charmer et obtenir ce trône. Philippe fit de son mieux mais l’empereur restait réticent. Il obtint pourtant un traité avec le duc d’Autriche qui augmentait le territoire de la Bourgogne. En échange de la somme de 50.000 écus, Sigismond de Habsbourg, cousin de l’Empereur, confiait au duc le contrôle de ses territoires en Alsace et dans la Forêt-Noire. Ce traité était accompagné d’une alliance défensive, ce qui enchanta Charles. En effet, il espérait un allié supplémentaire contre le roi de France et un ami influent à la cour de Frédéric III, empereur du St Empire. Il continua à entretenir une correspondance avec Charles de Berry qui s’était installé en la ville de Bordeaux. Le duc de Bourgogne se divertissait des aspirations de son compère bordelais pour la main de sa fille Marie, aspirations qu’il se garda bien de contredire.
Les Territoires de Charles le Téméraire. (source wikipédia)
Jusqu’au mois de novembre, Charles le Téméraire parcourut ses territoires pour y renforcer son pouvoir. Lors de son passage dans le comté de Bourgogne, il engagea un certain nombre de mercenaires italiens pour inculquer de l’expérience à ses futures troupes. Il s’inquiéta aussi de la recrudescence des interventions bretonnes dans la Manche. En effet, la guerre navale se prolongeait entre les Français et les Anglais qui escarmouchaient continuellement au large des côtes de Picardie et de Calais. Malgré tous leurs efforts, les navires normands du roi de France furent des proies faciles pour les expérimentés marins anglais. L’appel royal à la flotte bretonne changea la donne et en septembre, les commerçants de Bruges notèrent un ralentissement des arrivées de navires anglais. Ils en appelèrent au duc qui envoya une protestation véhémente auprès du roi de France. Celui-ci joua l’hypocrite d’autant plus facilement que la flotte, même s’il la finançait, battait pavillon breton. En octobre, fort mécontent, le duc envisagea de créer une escadre mais préféra écrire à Charles de Berry en son fief de Guyenne pour qu’il fasse pression sur le duc François II. Charles de Guyenne poussés par les Bordelais sauta sur l’occasion. A la fin octobre, sa campagne finie, la flotte libéra la Manche. L’émissaire de Bourgogne que Louis XI avait retardé la trouva en décembre dans l’estuaire de la Loire. Elle n’était pas désarmée et elle était augmentée d’un petit navire avec un curieux gréement.
Armoiries du Duc de Bourgogne. Sa complexité reflète la titulature du Duc ainsi que la faible centralisation de son État.

1469. Ep2. Chronique de François II. partie 1.

Le retour du duc en Bretagne fut lent. Si L’accord avec le roi de France avait pris du temps, il en profita aussi pour parcourir les vignobles angevins et y acquérir quelques fûts pour agrémenter sa table. A son arrivée à Nantes, le 18 février, il fut fêté par les marchands de la ville qui lui organisèrent une entrée triomphale. Ils se réjouissaient de l’alliance avec la France et des clauses du traité qui leur accordaient la paix et les libertés nécessaires à la croissance de leurs échanges. Grand Seigneur, le duc offrit en retour ses nouveaux fûts à la ville qui les mit en perce pour le petit peuple. Depuis cette date, il est coutume en la cité nantaise de ne plus fêter mardi gras mais de célébrer les Vins du Duc, sorte de Carnaval où ne se boit que des vins d’Anjou et, en particulier, des Coteaux du Layon.
Comme tous les deux ans, le duc convoqua ses états généraux pour la fin des moissons. Puis, accompagné de Pierre Landais, il se rendit à Vannes où il engagea une des réformes qui fit la grande prospérité du golfe du Morbihan. Il y multiplia les autorisations de sècheries, destinées à transformer les prises de la pêche côtière en aliment conservable et surtout commercialisable. Avec son autorisation, Pierre Landais étendit les années suivantes ces droits dans les pays de Nantes et de Retz. Le climat favorable et la proximité des ressources de sel permirent un développement important de cette pratique. Dés 1470, la Bretagne exporta de nombreux tonneaux de poissons salés vers la vallée de la Loire puis vers les ports d’Ibérie à partir de l’année suivante. Cela faisait un complément idéal pour le commerce du sel et celui des toiles. Les finances du duc s’en trouvèrent renforcées car il percevait un droit à l’exploitation pour cette activité.
A Pâques, le duc se trouvait en compagnie de Jean de Quelennec et André de Lohéac en sa bonne ville du Blavet. Ces deux compères qui se partageaient efficacement la direction de l’amirauté bretonne, y mettaient au point un chantier naval qui devait produire de nouveaux vaisseaux pour les forces du duc. Les actions en mer d’Irlande et en Manche pendant les années précédentes les poussèrent à construire un nouveau type de navire. Jean de Quelennec qui avait passé l’année 1468 à questionner des capitaines de commerce sur les nouvelles techniques navales, proposa de construire un navire d’origine portugaise : la caravelle. Petite, plus rapide et plus agile que les caraques, le navire avait plu au vice-amiral de Lohéac qui voulait un bateau capable de frapper dans les estuaires et les anses, espaces confinés fort dangereux pour les lourds navires qu’il commandait. Par l’intermédiaire d’un marchand, l’amiral avait engagé deux charpentiers de marine portugais. Arrivés en Mars, ils présentèrent au duc leurs dessins et Pierre Landais leur accorda les finances pour construire trois de ces navires. Il envoya un agent à Nantes recrutés des artisans habiles. Yann de Ranrouët, écuyer de Lohéac, plus connu sous le sobriquet de La Roche, fut chargé de négocier un contrat pour du bois de marine et pour l’enrôlement de charpentiers avec le comte de Rohan. Début mai, il était à Pontivy et achetait chêne et pins pour le compte de l’amirauté. Il y reçut une missive de son seigneur qui le convoquait à St Malo pour y rembarquer à destination de la Manche. La flotte partait au secours des marins normands. Laissant le soin des livraisons à ses clercs, Jean de Rohan accompagna son nouvel ami.
Schéma de la Caravelle battant pavillon portugais. les Bretons l'appelaient familièrement Carvel
Fin avril, Le duc s’engagea sur les chemins du pèlerinage de Bretagne. Le Tro Breizh le mena à travers l’ensemble de son duché. Il se rendit d’abord à Morlaix par la cote sud. Il constata dans cette ville une réelle prospérité qui commençait à s’étendre dans les campagnes avoisinantes. Puis par Tréguier où il séjourna le 19 mai pour la fête de Saint Yves, il rejoignit St Malo et y retrouva Jean de Rohan, passionné par l’armement de son premier navire. Le duc et son trésorier général discutèrent longuement avec lui des réformes qu’il avait appliquées dans son comté de Léon. François II resta dans la cité corsaire jusqu’au départ de la flotte puis s’en alla au Mont St Michel y prier pour le salut des marins et le rétablissement de la duchesse. Le duc traversa la baie, pieds nus et vêtu d’une simple chemise de chanvre. Il monta jusqu’au monastère et demanda pardon à l’archange pour l’incendie de 1204 causé par des chevaliers bretons. Le lendemain, après une nuit de pénitence, il reçut l’eucharistie des mains de l’abbé puis celui-ci lui rendit hommage devant l’ensemble de son chapitre. Enfin, il offrit une fête aux habitants pour célébrer le rattachement du Mont à la Bretagne. Si les précédents ducs avaient été incapables de conquérir la forteresse par la force, en deux jours, le duc la gagna par le cœur. Il sortit de l’ile en grand apparat au plus grand plaisir des habitants qui acclamèrent leur nouveau duc. Enfin, après un détour par Fougères où il inspecta rapidement des travaux de défense, François II chevaucha vers Nantes car la maladie de la duchesse s’était aggravée.
Représentation du Mont St Michel dans les Riches Heures du Duc de Berry

jeudi 30 mai 2013

1469. Ep1. Négociations Franco-bretonnes

En janvier, l'annonce de l’arrivée de François II, à Chinon, fit grimacer à la cour de Louis XI. les courtisans savaient le duc fort agaçé. Il avait misé sur un cheval puissant qui se révéla, à sa grande déconvenue, un véritable percheron capable de foncer tête baissée dans la première fondrière venue. Mais ce que ne comprenaient pas les courtisans, c'est que le duc, bien que courroucé par l'affaire de Péronne, y trouvait aussi son compte. Le chancelier Guillaume Chauvin avait dû expliquer à François Il que, derrière cette bêtise de Péronne, se trouvait une opportunité qu'il devait saisir : le roi de France avait besoin de la Bretagne. Elle était sa seule alliée capable de frapper ou au moins de distraire les deux ennemis  du royaume. Doté d'une marine en pleine expansion et d'une population militaire motivée, le duché se révélait indispensable car il protégeait le commerce maritime et fournissait un nombre de professionnels de la guerre toujours plus grand.
 En effet, le duc ne venait pas seul. 2400 soldats remontaient péniblement la Loire à sa suite, approvisionnés par un constant ballet de gabares que l'administration royale avait mis en place. Cette imposante organisation   rasséréna le duc qui y aperçut l'inébranlable volonté du roi ainsi que les vastes ressources du royaume de France. Ainsi, les berges de la Loire se réveillaient chaque matin au son guttural des voix de basse-Bretagne qui chantaient des cantiques en marchant. La petite noblesse de Cornouaille et du Léon s’était aussi lancée dans l'aventure du mercenariat. Pierre Landais avait imposé la présence d'un aumônier pour mettre fin à certains abus, très préjudiciables pour les populations mais selon lui, surtout pour les revenus de ce commerce de la guerre. François Il regarda ce long serpent d'hommes disparaitre dans le lointain et se dit que sa Bretagne faisait la guerre à la place des indisciplinés français qui ne voulait pas suivre leur roi.  Au fil des ans, il avait compris quelle importance accordait ses nobles à améliorer leur sort mais il déplorait la perte des valeurs traditionnelles. L'argent gâchait tout, surtout l'honneur. La Bretagne qu'il avait connue disparaissait dans ce flux constant de monnaies. Son duché se transformait en une province avide de nouveautés, cupide mais aussi tellement plus industrieuse qu'il y a dix ans que lui-même n'en revenait pas. Il n'avait pas les moyens de s'opposer à  ce mouvement qui touchait surtout ses meilleurs soutiens. La petite et moyenne noblesse avait changé. Elle avait compris que sa dépendance vis à vis des grands était due à sa faiblesse financière. Maintenant, ils acceptaient cet état de fait et se démenaient pour le changer. Le premier pas était souvent une campagne militaire à l'étranger. Ceux qui revenaient riches, se retiraient et s'orientaient vers d'autres activités lucratives. Maintenant, nombre d'entre eux prêtaient de l'argent sous des noms d'emprunt et fournissaient des moyens à des artisans ou des marchands qui développaient le commerce, des ateliers ou finançaient des navires. Sa Bretagne changeait et il devait maintenant lui donner les moyens politiques de continuer à changer.

En réalité, le duc ne demanda pas grand chose au roi pour le prix de son alliance. S'il demanda ses parts sur les nouveaux contrats, il n'exigea ni terres, ni titres, ni pensions. Il voulait deux papiers de sa main : le premier était un accord de commerce : le traité des estuaires. Ce texte qui resta en vigueur jusqu'aux guerres de  religion fut la première pierre de la longue coopération franco-bretonne du XVIème siècle. Il donnait aux bretons l'accès libre de taxes royales aux ports de la Garonne et de la Seine ainsi qu'au bassin de la Loire jusqu'à Tours. Le second devait empêcher un probable conflit franco-breton que le duc voulait éviter. Il demanda à Louis XI de faire pression sur les Penthièvres car il allait reformer le traité de Guérande. Le duc annonça au roi qu'il allait imposer la loi salique aux prochains Grands Jours. Il espérait obtenir un accord avec les Penthièvres avant cette déclaration. Louis XI  répondit que le retour du fief du Penthièvre serait la meilleure arme de négociation. Avec un sourire, François répondit qu'il n'en était pas question car comme le royaume de France, le domaine ducal était inaliénable. Les Penthièvres ne pourraient récupérer que leurs revenus féodaux liés à la terre mais surtout pas leurs droits de justice. De plus, Il ne leur accorderait ce droit que s'ils remplissaient les obligations qu'il avait fixées trois ans plus tôt. A la fin de sa déclaration, il s'approcha du roi et lui dit dans un souffle : « Obtenez leur accord et je reste votre allié jusqu'à la défaite du téméraire que cela prenne trois ou dix ans.».

Chateau de Chinon. Lieu de signature du traité des Estuaires.
Pendant que les diplomates ergotaient sur les limites du traité des estuaires, le roi regarda longuement le duc de Bretagne. Pour lui, le fait que François II capitalise sur sa haine du Téméraire était révélateur. Le petit duc avait bien grandi depuis Étampes. Il était loin le fringuant et insouciant jeune homme qui avait voulu l'impressionner par sa fougue et sa magnificence. François II était devenu un vrai homme d'État, bien moins belliqueux que le téméraire mais aussi bien plus retors que le duc de Bourgogne. En fait, il était devenu un duc qui allait lui couter fort cher.

dimanche 26 mai 2013

1468. Ep4. O Péronne, Péronne en ton sein coule la haine

L’annonce de la prise de Tongres par les Liégeois mit le duc de Bourgogne en fureur. Les informations qui lui parvinrent dans la nuit du 12 au 13 octobre lui indiquaient que deux représentants du roi se trouvaient dans la ville et que son gouverneur et le prince-évêque avaient été exécutés par les rebelles. Même si le second message était faux, d’amicale, la relation franco-bourguignonne tourna à l’orage. Le duc confina le roi dans ses appartements malgré le serment qu’il lui avait fait de le laisser libre. Louis XI se sut perdu. Sa garde écossaise et les 300 lances qui l’escortaient ne suffiraient jamais à percer les défenses bourguignonnes. Il était piégé dans un château où régnait un duc furieux et impulsif qui maintenant lui en voulait à mort. Il dut céder et signa un traité de paix où il donnait définitivement les villes de la somme à Charles de Bourgogne, l’apanage de la Champagne à son frère et le renoncement du parlement de Paris à juger les appels provenant de Bourgogne. Le duc gagnait ainsi sa souveraineté judiciaire et l’état bourguignon coupait ses derniers liens avec le royaume de France. Mais cela ne calma pas Charles le Téméraire. Il était si furieux qu’il exigea du Roi qu'il l'accompagne à Liège châtier les rebelles. Louis XI, encore une fois, dut s’incliner. Il avait fait une erreur qui pouvait lui coûter la vie. Il n’avait pas d’autre choix que de subir ou de payer le prix du sang. En fait, ceux qui burent sa coupe jusqu’à la lie furent les Liégeois. Lors de la chute de la ville, le duc força le roi à porter la cocarde bourguignonne et à défiler dans la cité avant que les bourguignons ne la pillent et ne la ruinent. Le 2 novembre, ayant obtenu tout ce qu’il désirait, Charles le Téméraire rendit sa liberté au roi et lui proposa de renégocier le traité  dans une volte-face inattendue. Il l’assura aussi que Charles de Berry et lui pouvait se mettre d’accord sur un autre apanage que la Champagne. Louis XI refusa et partit de Liège la rage au cœur. Humilié pendant un mois, Le roi rentra en France le 4 novembre. Jamais, il ne pardonnerait Péronne.
Dés la chute de la cité wallonne, le duc de Berry était rentré en contact avec Louis et celui-ci avait engagé des discussions au sujet de son retour et de son apanage. Alors que le roi reprenait la route de la capitale, le duc de Berry se sépara de la cour de bourgogne. Il s’installa alors dans la ville picarde de Noyon. Son départ de Genappe se fit sous le couvert de la nuit. Il avait obtenu très peu du Téméraire. L’argent et les troupes n’étaient jamais apparus. Si Charles de Berry avait recherché l’amitié et l’alliance du téméraire dans les années précédentes, son comportement impulsif et l’usage sans limite de sa puissance militaire avaient transformé sa bienveillance en crainte.  Il s’en retourna donc en France. Ville royale, Noyon se situait à quelques lieues de places fortes bourguignonnes et Charles y voyait un endroit approprié pour négocier avec son frère. Après un mois d’échanges épistolaires, le duc accepta de prendre en apanage la Guyenne et non la Champagne. Le traité fut finalisé à Melun par une rencontre émouvante entre les deux frères sur le cours de la Seine. Ils se rendirent ensemble sur les bords de Loire pour passer la fin de l’année.
Louis XI força son royaume à accepter le traité humiliant de Péronne qu’il fit enregistrer par le Parlement en sa présence. Il avait obtenu la paix avec le Téméraire et pouvait maintenant s’occuper des affaires d’Angleterre où les bretons avaient assuré au clan Tudor une situation plus confortable. Lors de l’avent, il reçut un flot de lettres de la part de François II qui se plaignait de son allié et de ses décisions. La Bretagne voyait la zone de tension se rapprocher de sa frontière sud. Si le duc de Berry maintenait ses bonnes dispositions avec Charles de Bourgogne, le pays de Retz pourrait devenir zone de guerre. Malgré les belles actions des hommes de Bretagne et l’argent qu’il avait amassé, le duc François était furieux. En effet, la Guyenne était riche et rattachée au royaume de France depuis peu. La loyauté des barons aquitains envers le roi étaient plus que fragile. Enfin, les Anglais lorgnaient encore sur ce territoire et y maintenaient des agents séditieux. Même si le duc de Berry avait abandonné l’alliance bourguignonne pour l’obtenir, pour François II, ce n’était que des mots car depuis Ancenis, il savait très bien comment il était simple de changer de camp. il menaça Louis de ne pas reprendre les efforts militaires consentis contre l’Angleterre et de renouveler sa trêve avec Edouard IV. Il avait d’ailleurs une ambassade à Londres que le roi Edouard courtisait de manière éhontée.

1468. Ep3. Corsaires bretons en mer d'Irlande

Débarqué en décembre dans la ville de St Malo, Yann La Roche n’espérait que repartir. On le força à prendre deux mois de repos. Les mercenaires de Kérouzéré avaient passé la majeure partie de l’année 1467 outre-manche et avaient participé à des opérations de polices dans le sud puis à des raids de représailles le long de la frontière anglo-écossaise. Yann ne revenait pas les mains vides mais elles étaient bien moins pleines que lors de son retour de Bourgogne. Le contrat obtenu par le Sieur de Kérouzéré avait été respecté par les deux parties. Le comte de Warwick avait même assuré le paiement des soldes de l’automne et avait démobilisé les bretons à Plymouth avant de les transporter sur trois de ses propres navires à St Malo. Malgré sa montée en grade, Yann trouva que le bénéfice était bien trop faible pour l’investissement humain et financier de départ. Un tiers des bretons reposait dans les Lowlands et les raids constants avaient ruiné cette contrée rendant le pillage peu profitable. A part des équipements de prise, le butin avait été plus que maigre. Si le siège de Dinant lui avait rapporté une vraie fortune, ce contrat anglais était un échec. Le sieur de Kérouzéré qui était un capitaine de guerre correcte, s’était révélé être un piètre négociateur, surtout quand cela ne servait pas ses intérêts. Les soldes et le ravitaillement avaient eu du retard. Les renforts n’étaient jamais arrivés et l’équipement s’était détérioré au point qu’une partie de la bande s’équipa chez l’ennemi. A l’automne, Yann s’en tirait encore grâce à la débrouillardise de son compère Yvon, capable de trouver de quoi manger dans la lande la plus désolée.  Mais sa mort, en octobre, avait été un choc. Ce jour-là, les écossais avaient décidé de frapper un grand coup et mobilisé un schiltorn (carré de piquiers) qui laissa le quart du commandement de Kérouzéré faces contre terre et les pieds devant. Réduit à moins de 150 hommes, la compagnie fut placée dans une garnison où elle végéta un long mois. La découverte par Kérouzéré de l’alcool locale n’arrangea pas du tout la qualité de son commandement. Yann avait difficilement maintenu une discipline minimum dans la troupe désœuvrée et régulièrement enivrée. A son arrivée à St Malo, le sieur de Kérouzéré avait été cassé par l’employeur de la Bande : André de Lohéac.
Ce parcours chaotique avait mené Yann sur cette plage venteuse et froide de la mer d’Irlande. Son nouveau chef n’était autre que son propre employeur, nouveau vice-amiral de Bretagne. Le duc lui avait confié en décembre l’armement d’une escadre de vingt navires financés par le roi de France. En accordant des lettres de marques gratuites aux Malouins, François II réussit à augmenter à moindre frais la taille de cette flotte qui gagna ainsi dix nouveaux bâtiments. En avril, la flotte avait chargé des hommes et des vivres pour quatre mois et voué vers le nord. Les trente navires arrivèrent en vue du château de Harlech au pays de Galles à la fin du mois. Pendant dix jours, Yann organisa le débarquement des vivres et des renforts destinés à la garnison lancastrienne. Pendant ce temps-là, André de Lohéac se réunissait en conseil de guerre avec Jasper Tudor. Ils décidèrent de mener une campagne de raids sur les côtes du nord de l’Angleterre et en particulier dans les terres dépendant du duché de York. Dernier bastion des Lancastres en Angleterre, Jasper Tudor proposa de s’emparer d’une position plus sécurisée. L’importance des défenses de la cible obligea les capitaines à planifier une opération nocturne et un coup de main. Yann se retrouva donc sur la plage de Castletown, dans la nuit 23 au 24 mai. Son groupe de quarante soldats quitta la grève en silence. Seul chuchotait le guide anglais qui les dirigeait vers le château de la ville. Au petit matin, ils se cachèrent à portée de voix des murs de la forteresse. Yann envoya le guide et deux de ses hommes qui parlaient anglais attirer les gardes à l’extérieur. Ils simulèrent bagarre d’ivrognes.  Après quelques hurlements, bousculades et horions, les gardes intervinrent sur ordre de leur chef et les trois hommes furent entraînés vers les grilles du château. Dés leur entrée dans le fort, les trois hommes estourbirent les miliciens et  bloquèrent les grilles. Les quarante hommes de Yann pénétrèrent dans la forteresse, nettoyèrent les pièces une à une et hissèrent la bannière des Lancastres sur la plus haute tour.  Deux heures plus tard, la flotte d’André de Lohéac se présenta à l’entrée du port. Jasper Tudor débarqua. Il promit aux habitants de ne pas piller leur ville s’ils se ralliaient à lui. Les dirigeants de la cité ne se firent pas prier d’autant que le Earl of Pembroke était arrivé avec 400 bretons et 300 anglais armés jusqu’aux dents. Les trente navires de Lohéac débarquèrent hommes et ravitaillement avant de commencer à patrouiller autour de l’ile. Trois jours plus tard, ayant fait le tour des bourgs et villages de l’ile, Jasper Tudor était de retour. L’ile de Man avait basculé dans le camp Lancastre.

Blason de la Ville de St Malo au XXè siècle
qui rend compte de son role prépondérant dans la marine bretonne.

Dés le début juin, le baron de Retz mit les voiles sur l’Angleterre, il laissait derrière lui les navires malouins chargés de défendre l’ile et de perturber les échanges dans la mer d’Irlande. Ils avaient pour mission de capturer un maximum de navires pour le compte de Jasper Tudor qui leur promit de leur laisser la totalité de la cargaison s’ils les prenaient intacts. Fin aout, les Lancastres avaient à leurs dispositions une escadre de sept navires qui se chargèrent de la défense de l’ile et du ravitaillement du château de Harlech au Pays de Galles. A la mi-septembre, les malouins rentrèrent en leur cité les cales pleines de denrées qu’ils vendirent en Normandie et le roi fort heureux les exonéra de taxes douanières. La nuit la plus courte de l’année et la clarté particulière dont elle fit preuve cette année-là permit à André de Lohéac de mener le raid qu’il planifiait depuis avril. Il avait obtenu de marchands gallois acquis à Jasper Tudor, l’information importante que les défenses de Barnstable étaient dans un état lamentable et que la ville n’était gardée que par une milice bourgeoise inefficace. Le 21 juin, les navires bretons s’engagèrent dans le Bristol Channel et jetèrent l’encre dans une anse désolée à deux encablures de l’embouchure de la rivière Taw. A la nuit tombée, il fit embarquer toute la bande sur des barges et aidé par la marée, il remonta les 7km qui le séparaient de la ville. La prise de la ville ne fut qu’une formalité pour les 500 hommes entraînés et ne fit qu’une dizaine de décès parmi les habitants. Jusqu’à midi, le pillage fut systématique et le sac ne fut découvert qu’en fin d’après-midi par les forces anglaise du comté. André de Lohéac mit à contribution l’expérience de Yann et redescendit la rivière avec des barges qui croulaient sous le butin. Yann partit le dernier de la ville en incendiant les bateaux qui se trouvaient dans le port. Le chargement fut long et frustrant car le baron voulait maintenir dix navires patrouillant dans le Bristol channel. Le soir surprit la flotte bretonne portant la bannière Lancastre au large de Swansea. Les navires filèrent plein ouest jusqu’au petit matin puis s’en retournèrent vers le nord. Ils arrivèrent à Harlech le 24 juin.



Reconstitution 3d du Chateau de Harlech.

Dans la foulée, Jasper Tudor proposa d’attaquer au nord du pays de Galles la ville de Denbigh. Le baron de Lohéac fit remarquer qu’un raid sur cette ville allait directement attirer l’attention des Yorkistes sur le château de Harlech. Pourtant, Jasper Tudor décida de réaliser cette expédition tandis que la flotte de Lohéac patrouillerait les côtes du Lancastershire pour attirer les forces d’Edouard hors du pays de Galles. Alors que le baron de Retz débarquait au nord de Preston et ravageait le littoral, Jasper Tudor pilla la ville à la mi-juillet. Mais un incendie s’y déclara et l’ensemble de la communauté disparut dans les flammes. Ce que Lohéac craignait se réalisa. Informé de l’arrivée de Jasper Tudor et de son neveu Henry, Edouard IV envoya 10.000 hommes dans le nord du pays de Galles avec mission de s’emparer de la dernière position Lancastre. La garnison qui avait tenue pendant sept années face à la pression des troupes yorkistes se retrouva dans une situation inextricable au début du mois de septembre. Malgré les ravitaillements et les débarquements sur les arrières des Yorkistes, Dafydd ap Ieuan, le commandant de la garnison dut se rendre le 14 septembre. Les Tudor se replièrent avec leur petite flotte sur l’ile de Man. L’approche de l’hiver rendait la navigation en mer d’Irlande très hasardeuse et laissant un maximum de ravitaillement, le baron hissa les voiles pour la Bretagne. Il promit à Jasper Tudor de renvoyer des navires au printemps. Les malouins furent les premiers à revenir en mars 1469 avec un chargement de grains qu’ils vendirent à bon prix. Le destin du Baron l’attendait ailleurs.


vendredi 24 mai 2013

Carte de la Bretagne historique source Geobreizh



1468. Ep2. Affaire de Famille.

François II et Jean II de Rohan ne se comprenaient pas et ne se comprirent jamais. Guillaume Chauvin mit ça sur le compte de la différence d’âge. 19 ans séparaient le duc du comte. Pierre Landais analysa fort bien les deux tempéraments et comprit très tôt que le duc et le comte représentait deux mondes qui ne s’accommoderaient jamais l’un à l’autre. Les historiens reprennent généralement son avis pour expliquer la situation qui se développa en ce printemps - là. A la différence des autres nobles du duché, Jean de Rohan naquit dans la famille d’Alain IX le Bâtisseur qui reconstruisit les châteaux de Pontivy et de Josselin. Il est bien plus connu de nos jours par ce qui fut sa réelle originalité : Alain IX était un maître forgeron. Il développa le nord du Vannetais en exploitant ses forets pour le charbon de bois et en créant des ateliers sidérurgiques dans son comté de Rohan. Quand Jean atteignit l’âge de dix ans, Alain IX décéda. Eduqué à Josselin, le jeune jean fut constamment entouré d’hommes et de femmes qui cultivèrent chez lui l’admiration qu’il portait à son père décédé. Nombre d’entre eux, du clerc au charbonnier, avait obtenu protection, travail, terres et parfois pensions des mains de son père grâce aux forges. Ce que retint Jean du comportement paternel était que ses terres ne lui donneraient jamais le pouvoir que les autres grandes familles, les Rieux, les Montmorency-Laval ou les Montfort tiraient de leurs fiefs mais que sa puissance se trouvait dans ses vassaux et dans leurs industries. Il décida donc de poursuivre la tradition paternelle. S’il restait un grand seigneur qui défendait farouchement son honneur, portait fièrement armure et armoiries, connaissait sur le bout des doigts le maniement des armes et entretenait une suite nombreuse, il ne jetait pas l’argent par les fenêtres comme le duc, n’appréciait que modérément la chasse à l’inverse du duc qui courraient tout ce qui portait fourrure, détestait les joutes alors que le duc adorait le choc des armures, abhorrait faire la cour aux dames tandis que le duc avait maîtresses et s’ennuyait ferme dans les banquets où étaient racontés toujours les mêmes prouesses de chevaliers, prouesses que le duc trouvait si vraies. Ainsi, le discours que Jean donna en 1467 à Vannes sur l’importance du commerce stupéfia François II, décontenança le chancelier et fut une bonne surprise pour le trésorier général qui pestait dés qu’on lui demandait quelques sous. Ce contraste aboutit à la situation rocambolesque du printemps 1468.
Jean II de Rohan, amoureux des arts (en particulier des arts mécaniques), précurseur de la Renaissance en Bretagne. Il fut aussi surnommé le Baron-marchand par ses détracteurs et reste aujourd'hui le symbole de la révolution sociale qui se produisit en Bretagne au XVIè siècle.
Quittant ces travaux d’architecture militaire pendant le printemps, François II décida de rendre visite à son beau-frère de 16 ans à Pontivy. Les retrouvailles des deux sœurs, l’accueil joyeux de Jean, l’abondance de vin ainsi qu’une longue discussion sur les tours d’artillerie (nouvelle marotte du duc qui voulait en construire dans toutes les forteresses de la marche de Bretagne) firent naître une complicité que François croyait acquise. Le lendemain, tard levé, François fut bien surpris quand on l’informa que le comte n’était pas au logis et qu’il était parti inspecter ses forges dans la forêt voisine. Il le fit mander et en bon vassal, Jean arriva au galop…couvert de suie et en tablier de forgeron. La discussion qui s’en suivit fit retraiter les deux sœurs dans les appartements de la comtesse. L’après-midi, le duc chassa avec succès dans la forêt domaniale du comte qui suivait sans enthousiasme. Le banquet du soir fut morne et finit mal. Après quelques remarques sur le beau gibier qu’il avait levé, François se tut. Pour entretenir la conversation, Jean crut bon de discourir sur la gestion de ses forêts puis il enchaîna sur les nouveautés qu’il apportait à ses fiefs et les richesses qu’il espérait en tirer. Dans son enthousiasme, il ne remarqua jamais que le duc avait posé son verre et le regardait fixement. Lorsqu’il aborda sa décision de diminuer la corvée féodale dans le Léon, François fit les yeux ronds puis fronça les sourcils. Dans un soupir, il se leva, lâcha un « nous partons demain » et ordonna qu’on le servit dans sa chambre avant de claquer la porte. Au matin, Jean, fort rouge et tout contrit, ne put approcher le duc qu’au moment où il montait à cheval. Les adieux furent froids et François partit dans un nuage de poussière. Guillaume Chauvin informa alors le comte de sa disgrâce. Il ne pourrait paraître à la cour de Nantes que s’il abandonnait ses projets de transformer les preux chevaliers en avides marchands et en indélicats compagnons du devoir. Le comte écrivit une seule et unique fois à son suzerain demandant humblement son retour en grâce mais précisant qu’il était dans son bon droit car il respectait la coutume de Bretagne où les nobles pouvaient être maîtres de forge ou maîtres-verriers. Par courrier, le chancelier excusa ses errements de jeunesse, lui fit une petite leçon de diplomatie et lui signifia gentiment que possession du titre de maître ne voulait pas toujours dire pratique de l’art. Il lui retournait aussi son courrier qu’il n’avait pas présenté au duc et le suppliait de prendre un ton plus conciliant et d’éviter toute précision à une certaine coutume. Le comte lut la missive à sa femme, grommela un peu, regarda sa dame qui souriait jusqu’aux oreilles en serrant les dents et lâcha un « Si ça peut lui faire plaisir ! ». Il déposa la lettre sur sa pile de courriers à traiter et s’en alla visiter un moulin à papier. La missive ne fut retrouvée que quatre jours plus tard par un clerc sous un projet de moulin, un autre de quai à Brest et un troisième d’achat d’une invention allemande : l’imprimerie. Informée par ses dames de compagnie, la comtesse prit les choses en main, fit rédiger une lettre sur le meilleur parchemin, joua de ses charmes pour distraire le comte pendant la signature du courrier et la lettre dument scellée, fit galoper un jeune écuyer jusqu’à Clisson. Une semaine plus tard, alors qu’il étudiait le dessin d’un étonnant gréement portugais, le comte reçut l’invitation habituelle de venir fêter l’anniversaire de son jeune cousin. Le 29 juin, le comte offrit deux canons miniatures au jeune Jean et lui affirma qu’il les avait forgés lui-même. Si le futur Jean VI lui lança un regard plein d’admiration, le duc, dodelinant de la tête, lâcha dans un souffle un « Indécrottable, ce Rohan ! » que seul, le trésorier entendit et qu’il confia à son journal, le soir même. A partir de ce jour, le duc laissa le jeune Rohan vaquer à ce qu’il considérait comme des lubies tandis que le jeune comte délaissa jusqu’à l’âge mûr, les affaires politiques du duché. La comtesse s’en contenta fort bien car elle accompagna son mari dans la plupart de ses voyages autant pour lui éviter ce genre de faux-pas que par plaisir.


Marguerite de Bretagne, femme de François II et médiatrice régulière entre le duc et son beau-frère.


1468. Ep1. Guerre Froide

L’alliance du Duc de Bourgogne et de l’Angleterre ne prit pas Louis XI au dépourvu. Il s’y était préparé depuis longtemps et avait pris mantes dispositions pour contrer l’alliance naissante que le duc avait formée. Quand Charles signait un traité avec la Savoie, le roi s’alliait avec le duc Sforza de Milan. Quand le duc annonçait son mariage avec Marguerite d’York, Louis convoyait plus de fonds aux partisans des Lancastres qui résistaient encore dans le nord du pays de Galles. Quand le téméraire officialisait son alliance avec l’Angleterre, Le roi présenta son nouvel allié : le duc François II. Quand il tenta de faire appel aux grands du royaume, Louis convoqua les Etats Généraux à Tours et y invita personnellement les ducs et comtes de France. Ses arrières sécurisés, le roi passa l’année à préparer la guerre avec la Bourgogne, l’Angleterre et la Savoie. Edouard IV n’ayant pas accepté de renouveler la trêve, la France était de facto en guerre contre la nation anglaise.  Par de belles paroles et quelques promesses habiles, il relança le mécontentement dans la ville démantelée de Liège qui voulait retrouver ses libertés municipales. En avril, aux Etats Généraux, l’ambassade bretonne fut acclamée car elle précédait quatre bandes de 1200 hommes chacune. Le roi y annonça qu’il finançait depuis janvier, une escadre bretonne pour la guerre navale. Les Etats Généraux votèrent le rattachement définitif au domaine royal de la Normandie et l’impossibilité de la transformer en apanage. Par ce vote, Nobles, Clercs et membres du tiers proclamaient leur soutien inconditionnel à la monarchie française.

Vue actuelle du Chateau de St Malo, base de départ de l'escadre bretonne que François II confia à André de Lohéac.
En Bretagne, François II nomma un des plus expérimentés  capitaines de son duché à la tête de l’escadre : André de Lohéac. La nomination d’un capitaine en disgrâce à la cour de France était un subtil rappel au roi que le traité d’Ancenis devait être respecté et que l’argent devait couler vers la Bretagne tout autant que dans les bourses des soldats du roi. Le contrat de location de l’escadron, premier de son genre, rapporta au duc une rallonge de 50.000 livres. Equiper 20 navires n’était pas une mince affaire et nécessitait une expérience et une préparation que les malouins étaient prêts à accorder si on leur permettait d’ajouter dix de leurs propres navires équipés de lettres de représailles à cette flotte. Le duc sur les conseils de Pierre Landais accepta et pour la première fois, accorda gratuitement des lettres de marque, l’armement des navires restant à la charge des malouins. A la tête de 30 bâtiments de toutes les tailles, le baron de Lohéac hissa les voiles au printemps vers les eaux troubles de la mer d’Irlande. De son côté, le duc de Bourgogne positionna son armée autour de la ville de Péronne prête à se ruer en territoire français. Elle défendait ainsi la ville de Calais où devaient débarquer les forces anglaises du roi Edouard.  Louis XI concentra la majeure partie de son ost à Compiègne et mit en alerte les forces du Dauphiné.  
En fait, Edouard IV se retrouvait dans une position difficile et louis XI découvrit par ses agents qu’en fait d’alliance, le roi d’Angleterre était un tigre de papier qui ruait haut et fort mais qui n’avait pas les moyens de partir en campagne. Il devait encore pacifier le nord du pays de galles, chose faite fin septembre mais qui retarda d’un an sa venue sur le continent. De plus, le Danemark allié de la Hanse se mêla de la bonne santé du commerce anglais. Son roi confisqua quatre navires anglais. Edouard IV dut lui déclarer la guerre. En mai, il se décida et obtint du parlement le financement de sa prochaine campagne en France. Le 3 juillet, sa sœur Marguerite d’York se maria avec le duc de Bourgogne à Damme, en Flandres. Si ce mariage fut nommé le mariage du siècle grâce à la beauté de la duchesse et à la magnificence déployée par le duc, une triste figure fut remarquée par tous les participants : le duc de Berry qui n’avait toujours ni apanage ni argent pour mener sa propre politique. Il désespérait de voir sa situation évoluée d’autant plus que Louis XI avait réussi à rallier les grands du royaume de France. Les ducs de Bourbons, d’Armagnac et d’Anjou avaient reçu de quoi apaiser leurs appétits.  
Louis XI ne voulait pas de guerre avec l’Angleterre. La dernière confrontation entre les deux pays n’était pas vieille de quinze ans et les ravages qu’elle avait causés en France restaient encore dans les mémoires. Si ce souvenir servit sa propagande contre le duc de Bourgogne, vassal félon et qu’il portait le germe de la nation française, Louis XI savait que le royaume ne pouvait pas se permettre une guerre contre trois ennemis. Enfin, en cas de guerre, le duc de Berry fuirait hors de sa portée ou serait capturé par Charles le téméraire qui alors, en ferait ce qu’il voudrait. Le roi devait protéger son héritier pour le bien du royaume. Le duc de Bourgogne avait maintenu des contacts avec la cour de France et renouvelait de mois en mois ses trêves avec le roi de France. Malgré l’avis de ses conseillers qui voulaient continuer à faire pression sur le duc, Louis envoya en Bourgogne le seul des membres de son conseil défendant l’option diplomatique le cardinal Jean Balue. Il arriva au camp du duc, le 6 octobre. Ne voyant pas débarquer d’armée anglaise à Calais, le duc accepta une négociation d’homme à homme dans la ville de Péronne. Le roi s’y rendit le 9 octobre. Fort de ses succès diplomatiques en Bretagne et lors de la ligue du bien public, il se croyait capable de manipuler le duc, récupérer son hériter et conserver sa suzeraineté sur la Bourgogne. Ce jour-là, les milices de Liège en pleine révolte fondirent sur la ville de Tongres où résidaient le Prince de Bourbon et le gouverneur bourguignon Humbercourt.

Discussion houleuse entre Louis XI et Charles Le Téméraire à Péronne.

mercredi 22 mai 2013

1467. Ep3. Chronique des Grands Hommes de Bretagne.

François II passa l’hiver en sa bonne ville de Nantes où il surveilla le début des travaux du château. Il augmenta ses défenses et y adjoignit un logis pour son conseil et sa cour. En avril, il se rendit à Ancenis sur l’invitation de Louis XI. Après trois semaines de négociations et surtout de banquets, le jour de Pâques, le duc accepta une alliance défensive contre 200.000 livres tournois et le rachat du comté de Penthièvre pour 100.000, payées intégralement par Louis XI : il se convainquit que c’était une bonne affaire. Le 25 mai, les ambassadeurs du duc renouvelèrent la trêve d’un an avec l’Angleterre malgré la guérilla navale qui se poursuivait dans la Manche. En juin, il se rendit à Clisson où il assista au 4eme anniversaire de son fils. Jean de Montfort-L’amaury abandonna ce jour-là ces robes d’enfant et revêtit pour la première fois des chausses et un pourpoint. Il célébra la majorité de son beau-frère Jean II de Rohan, vicomte de Rohan, de Leon ; comte de Porhoët, seigneur de Blain, de la Garnache et de Beauvoir sur Mer, époux de Marie de Bretagne, sœur de la duchesse Marguerite. Le duc présida les Etats de Bretagne du 15 aout au 15 septembre en la ville de Vannes. Il y imposa la création des Grands Jours, cour d’appel souveraine copiée sur le parlement de Paris. En octobre, il se déplaça à Angers où il rencontra le Roi René. Les deux ducs passèrent un accord sur le commerce des vins et du sel qui limitait les péages sur la Loire. Puis, il rentra à Nantes où il redessina pour la énième fois les plans du château en y incluant une tour d’artillerie. Le plan fut finalement dédié au renforcement de la forteresse d’Ancenis.
Chateau des ducs de Bretagne à Nantes
Pierre Landais, Trésorier Général du duché, suivit son duc jusqu’à la mi-septembre. De Janvier à Mai, il s’intéressa au commerce et investit personnellement dans la construction navale et en tant que trésorier général dans les mines de plomb argentifère du Huelgoat. Il créa un quai dans la ville de Blavet (Port Louis, en face de l’actuelle Lorient) et rénova la route qui reliait cette ville au Huelgoat par Carhaix. Pendant l’été, il prépara une vaste réforme de l’administration centrale du duché, réforme qu’il soumit au duc en aout. Il en obtint l’application malgré l’opposition de Guillaume Chauvin. En septembre, il fit approuver par les Etats un recensement de la population fiscale pour réévaluer les fouages (impôts par tête).De Vannes, le jour de la St Michel, il se rendit sur le blavet pour vérifier l’état des travaux. Puis il termina l’année à Nantes pour mettre en place les conseils dont les membres étaient nommés par le Duc.
Guillaume Chauvin conserva son poste de Chancelier et de garde des sceaux. Il rénova son administration en créant quatre services spécialisés : les Archives ducales, la vice-chancellerie de Basse- Bretagne, la vice-chancellerie de Haute-Bretagne et enfin, la vice-chancellerie d’outre-duché qui s’occupa de la correspondance avec les puissances étrangères et qui fut toujours sous la direction directe du Chancelier. En avril, il joua un rôle central dans les négociations et poussa le duc à assurer la paix aux frontières de son duché par une alliance avec la France. Il le convainquit de racheter le comté de Penthièvre pour diminuer l’influence de cette famille car elle avait des droits sur la succession des Montforts. En septembre, il obtint des Etats et du duc que le Chancelier représenterait le Duc en ses Grands Jours et en ses conseils si celui –ci s’absentait. Il fit recruter des juristes parisiens et offrit à plusieurs maîtres réputés du parlement de Paris le poste de premier président du parlement ainsi que celui de doyen du collège de droit de l’université de Nantes. Jean Buré, juriste originaire de Montfort-L’amaury et maître des requêtes de Paris, accepta.
En janvier, Jean II de Quelennec, amiral de Bretagne, obtint du duc l’autorisation d’armer un escadron de cinq navires destinés à pourchasser les pirates anglais et bretons qui sévissaient le long du littoral nord. Homme trapu et ventripotent, bien plus à l’aise sur le pont d’un navire qu’à cheval, Jean II de Quelennec finança l’opération avec ses parts de la vente des lettres de marques et pourchassa pendant tout le printemps et l’été les navires anglais qu’ils soient pirates ou non. En juillet, il embarqua Jean de Rohan qui désirait s’instruire des choses de la mer. Jean de Quelennec poussa son escadron jusqu’à l’ile de Jersey à la St Michel. Fin octobre, de retour à Nantes, il décréta que les navires de Bretagne devait porter le drapeau blanc frappé d’hermines ou celui à la croix noire frappé d’hermines pour faciliter leur identification. Si l’opération anti-piraterie n’eut pas les succès escomptés, les petits navires pirates s’enfuyant à la vue des lourdes caraques armées, elle facilita le commerce dans la manche, permit quelques prises de navires anglais et vit le premier usage de couleuvrines (canons de faible calibre) sur des navires bretons. Enfin, elle décida Jean de Quelennec à chercher un navire plus rapide, plus manœuvrant et capable de s’approcher des hauts fonds dangereux pour les lourdes caraques.
André de Lohéac resta à Nantes jusqu’en mars puis se rendit en son domaine de Montjean en Mayenne où il fit réparer le château mais ne le renforça pas. En avril, il demanda au roi louis XI de venir lui faire sa cour. Celui-ci refusa et André de Lohéac voyagea jusqu’à Machecoul dans le pays de Retz dont il entreprit le renforcement. Il agrandit notamment les meurtrières. Il put ainsi armer ses tours de canons. Comprenant qu’il ne s’agissait que d’un pire-aller car les servants étaient mal protégés, il dessina une tour circulaire aux murs très épais et aux étages renforcés avec deux hauteurs de canons donnant de la gueule dans des meurtrières équipés de volets protecteurs. Il y passa son été. De nouveau, en septembre, il écrivit au roi de France espérant un changement d’opinion sur sa personne. Louis XI ne répondit pas. En octobre, il se rendit à la cour de Bretagne et devant les grands officiers du duché, il demanda au duc à prendre du service sous son commandement. Lors de la réforme des conseils, François II le nomma membre permanent du Grand Conseil.
Tour d'artillerie du château de Fougères
construite sur les plans d'André de Lohéac
 (source : mesvieuxchateaux.blogpost.com)
Jehan II de Rohan parcourut ses fiefs pendant l’hiver et le printemps. Il rencontra en avril les marchands et les seigneurs du Léon qui l’informèrent sur les possibilités de développement du textile dans cette région. Il séjourna à Morlaix et assista à l’exportation des toiles de lin vers le Portugal. A la St Jean, il célébra sa majorité et rendit l’hommage-lige à son beau-frère le duc. En juillet, il participa à la croisière navale de l’amiral de Bretagne et y passa haut la main son baptême du feu. Débarqué à St Malo avant la virée sur Jersey, Jehan de Rohan traversa la Bretagne du nord au sud pour assister aux Etats à Vannes où il soutint les décisions de son beau-frère. Il y fit un discours sur l’importance du commerce et des liaisons maritimes qui réjouit les représentants des villes. En octobre, de retour au château de Josselin, il éplucha ses finances et planifia l’extension des forges de Pontivy et de Josselin.
Chateau des Comtes de Rohan à Pontivy

1467.Ep2. Prélude.

L’arrivée de Charles de Berry en Bourgogne posa un problème à Philippe Le bon. Vieux, fatigué et malade, il voulait assurer une succession paisible à son fils et cela nécessitait une baisse des tensions entre la France et son duché. Louis XI envoya des diplomates dés février pour récupérer l’héritier du Trône. Vivant à Genappe, Charles de Berry recevait régulièrement la visite de l’héritier de Bourgogne qui l’acquit à ses vues. Charles de Charolais exigea qu’on confie à Charles de Berry la Champagne comme apanage. En mars, Louis XI refusa car ce duché aurait été voisin des terres bourguignonnes et bien trop proche de Paris. Alarmé par les contacts réguliers entre la couronne d’Angleterre et les bourguignons, Louis XI fit reprendre les négociations et invita François II à venir lui rendre visite. Le duc accepta une rencontre de quatre jours à Ancenis. Louis XI y déploya tous ses stratagèmes diplomatiques. Il le charma, le cajola, l’étourdit de fêtes, de chasses et de plaisirs. De quatre jours, le rendez-vous devint un séjour de trois semaines. Pour finir, il l’acheta. Lors de la Pâques, Louis XI signa une alliance défensive avec la Bretagne par le traité d’Ancenis et obtint le droit de recruter les bandes pendant 3 ans. Cette alliance lui coûta peu : 300000 livres et un noble d’origine bretonne fort mécontent, Jean de Penthièvre. Il avait assuré ses arrières. Pendant ce temps, les négociations avec les Bourguignons se poursuivaient. En mai, Le roi proposa à Charles de Berry la Guyenne. Mais, sur les conseils de Charles de Charolais, Berry refusa. Le roi de France prit aussi contact avec les habitants de Liège et passa un accord avec eux contre la Bourgogne. A l’annonce de la mort de Philipe Le Bon, le roi entreprit de mobiliser son armée et de la concentrer au nord de Paris et dans l’orléanais. Au passage, comme il détenait de nouveau le titre de comte d’Etampes, il expulsa l’administration bourguignonne qui gérait ce comté et le rattacha au domaine royal. Pendant le reste de l’année, il attendit l’attaque bourguignonne tout en contrecarrant la diplomatie du duc Charles par des ambassades vers l’Aragon, la Castille, le duché de Milan, les cantons suisses et surtout l’Angleterre. Les missions outre-manche furent un échec et l’Angleterre bascula peu à peu dans le camp bourguignon.
Le 15 juin 1467, Charles de Charolais devint Duc de Bourgogne, de Brabant, de Limbourg, de Luxembourg, Marquis de Namur, Comte d’Artois, de Flandres, de Hainaut, de Hollande, et de Zélande, Comte Palatin de Bourgogne. Son domaine s’étendait des côtes de la Frise sur la Mer du Nord au contrefort des Alpes suisses mais ne formait pas un ensemble continu car il était séparé par le duché de Lorraine. Né dans le palais familial de Dijon, Charles tenait sa cour dans la ville de Bruxelles et rêvait de devenir roi. Les ducs précédents avaient d’ailleurs développé un protocole compliqué pour manifester leur pouvoir politique et leur puissance financière. Le contrôle des Pays-Bas leur donnait accès aux richesses de la seconde région la plus riche d’Europe par son commerce et son industrie textile. Mais les Hollandais et les Zélandais étaient jaloux de leurs libertés. Le Duc devait donc demander aux Etats de ces territoires les finances nécessaires à sa politique. Ainsi, ses moyens étaient limités et ses pays disposaient d’une autonomie importante qui favorisait leurs activités économiques mais aussi leurs volontés d’indépendance. Le duché de Bourgogne était un Etat puissant mais fragile, régulièrement parcouru de révoltes citadines réclamant le maintien de leurs droits. Incitée par le roi de France, la principauté de Liège se révolta dés qu’elle apprit la mort de Philippe le Bon. Elle cherchait à retrouver son indépendance car en 1465, elle était devenue un protectorat bourguignon. Charles mit du temps à réagir car il parcourut ses différents domaines pour se faire reconnaitre duc et obtenir les hommages de ses vassaux. Il en profita pour récolter les fonds nécessaires à sa campagne militaire. Il écrasa le 28 octobre les Liégeois à la bataille de St Trond. Le 11 novembre, la principauté se rendit et fut intégré dans les territoires bourguignons. Cette période de conflit interne obligea Charles à réformer son armée. Il la transforma en suivant le modèle français tout en y intégrant une portion importante de mercenaires (dont des Bretons). Cette période lui permit aussi de finaliser les discussions portant sur son troisième mariage. Ses deux premières femmes étant mortes, en l’absence d’héritier légitime, le duc devait se trouver une épouse. Dés février, il avait envoyé des représentants à la cour des Habsbourg, en Angleterre, en Castille, à Milan et dans les principautés allemandes. C’est d’Angleterre que vinrent les réponses les plus prometteuses. Espérant sceller une alliance contre la France, le duc de Bourgogne demanda la main de Marguerite d’York, sœur d’Edouard IV d’ Angleterre.
Edouard IV sollicita l’alliance bourguignonne car la situation dans ses territoires devenait de plus en plus instable. La plupart des nobles anglais qui s’étaient ralliés à lui n’avaient accepté que du bout des lèvres son mariage de 1464 avec Elisabeth Woodville. A partir de cette date, le roi favorisa très nettement cette famille de noblesse récente alors qu’elle n’avait eu qu’un rôle très secondaire dans sa montée sur le trône. Les nombreuses révoltes lancastriennes freinèrent les malcontents yorkistes. Mais la sécurisation du royaume à partir de 1465 entraîna la radicalisation de l’opposition. Ulcérée par le mépris des francophiles Woodville et par l’indifférence du roi qu’elle avait mis sur le trône, la famille Neville menée par le Comte de Warwick, dit « le faiseur de rois » manifesta de plus en plus ouvertement son désaccord. Le comte reçut le soutien du plus jeune frère d’Edouard IV : Georges, duc de Clarence. En été, la proposition de Charles le Téméraire permit au roi de calmer temporairement le climat politique et de rallier à sa cause les francophobes et ceux qui voulaient retrouver l’Angleterre forte et puissante des Plantagenets. Ils espéraient que le roi reprendrait l’offensive contre le royaume de France. Edouard IV reçut aussi une ambassade bretonne et entama des discussions politiques et économiques dans l’espoir de former une alliance. L’ambassade était encore à Londres le 31 décembre.
Avril 1467. Louis XI et François II sur les bords de Loire.

mardi 21 mai 2013

1467. Ep1. Escapade .... monastique.

En Picardie, l’arrivée d’une bande de cisterciens crasseux était un évènement important mais qui restait banal. Membres d’un ordre monastique très répandu dans l’occident chrétien, ces moines crottés devaient se rendre dans un de leurs monastères pour y étudier les saintes écritures, recopier des livres d’heures précieux ou pour y faire étape sur le chemin de Rome. Quelques habitants d’Abbeville vinrent aux nouvelles cherchant un confesseur ou espérant un prêche qui pourrait réconforter leurs cœurs et leur foi chahuter par l’omniprésence des guerres, des pestes et de la famine. En fait, personne n’avait fait attention à la puissante stature des deux tiers d’entre eux, ni aux trois mules surchargés de coffres et de ballots qui les accompagnaient, ni aux lourdes bottes qui dépassaient des robes de bures. Mais, quand ces cisterciens entrèrent dans la meilleure auberge de la ville, demandèrent bains, chambres, vins et volailles et que le barbier fut convoqué, la petite ville picarde d’Abbeville s’interrogea sur ces hommes si dispendieux et si peu respectueux de la modestie monastique. L’étonnement augmenta encore quand le barbier reparut et affirma n’avoir tonsuré personne mais bellement taillé barbes et longs cheveux. La surprise des habitants fut à son comble quand le premier cistercien décrotté portant épée, chausses, bottes, pourpoint et cape sortit de l’auberge et se rendit chez le plus gros fermier de la banlieue, y négocier une dizaine de fières et fraîches montures. Enfin, les habitants furent ébahis quand, alerté par la rumeur populaire, l’éminent représentant de l’autorité du Duc Philippe fut rudement accueilli, traîné à l’étage de l’auberge par deux cisterciens très gaillards et renvoyé séance tenante en mission hors de la cité. Malheureusement pour les plus curieux, il leur fallut encore attendre vêpres pour apprendre que le noble le plus endetté de France, le seul duc sans duché, le seigneur français le plus rebelle à son suzerain et, accessoirement, l’héritier du trône de St-Louis se trouvait en leur bonne ville picarde. Charles de Berry venait demander asile à son bon oncle Philippe et à son téméraire cousin Charles.
Depuis son lit de vieillard, Philippe le Bon déclara qu’il ne voulait pas s’embarrasser de Charles. Mais, son fils qui détenait effectivement les rênes du pouvoir, décida d’envoyer son cousin dans une petite ville proche de Bruxelles et de lui fournir quelques deniers pour qu’il puisse mener vie princière. Et c’est, ainsi, qu’à partir de février 1467, Charles de Berry dormit dans le lit qu’avait occupé son frère au château de Genappe. Encore une fois, la Bourgogne contrôlait l’héritier du trône.

vendredi 17 mai 2013

1466. Ep4. AFFAIRES ETRANGERES

L’année 1466 vit la Bretagne s’engager dans un vaste effort diplomatique. Le duc envoya des représentants en Angleterre, Aragon, Bourgogne, Castille et au Portugal à la recherche de soutien pour sa politique. L’ambassade en Castille n’aboutit pas à cause de l’indécision de son monarque et elle poursuivit son périple vers Rome où elle n’arriva qu’en décembre 1466 en raison de frictions avec les aragonais. Les relations cordiales avec le Portugal furent renforcées par un accord qui permit aux bretons de s’immiscer dans le commerce du sucre vers l’Europe du Nord en échange d’un accès privilégié aux Créés. Les toiles de lin du Léon plaisaient aux ibériques car fines et aérées, elles permettaient de supporter la chaleur estivale de la péninsule. Le sucre acheté à Lisbonne puis transporté par des navires bretons, était vendu à Nantes, Bordeaux ou Anvers. Dans ce dernier port, des marchands de Morlaix contactèrent la Hanse pour obtenir un approvisionnement régulier en graines de lin de la baltique nécessaires pour maintenir des récoltes et un tissu de qualité. Ces contacts commerciaux aboutirent au contrôle par les bretons d’une partie du transit nord-sud de l’Europe et d’une grande partie du cabotage sur les côtes françaises. En Angleterre, les représentants du duc demandèrent à Edouard IV d’arrêter les pirates anglais qui pullulaient en Mer du Nord et dans la Manche. Ils reconduisirent aussi la trêve qui existait depuis deux ans.


Edouard IV, chef du parti Yorkiste dans la guerre des deux Roses.

Malheureusement, la piraterie ne s’arrêta pas et les pertes navales de l’été furent importantes dans les deux pays car l’Amiral de Bretagne, Jean II de Quelennec vendit un nombre important de lettres de marques et de représailles. L’entrée en vigueur de la réforme navale de François II permit une augmentation du nombre et de l’efficacité des corsaires bretons. En septembre, les principaux pirates anglais avaient été pris et la pratique du convoi adoptée. Les navires bretons ne remontaient la Manche qu’en groupe de quatre à cinq navires armés. Pourtant, la piraterie restait endémique en Europe du Nord. Si les relations avec le Comte de Charolais était excellente, celles avec le duc de Bourgogne étaient guère aimables. Philippe Le Bon, soucieux de ne pas agacer le roi Louis XI, refusait toute alliance officielle car il voulait le calme sur sa frontière française. En effet, la principauté de Liège était en état de rébellion contre son duc. Si Le duc Philippe et les Liégeois arrivèrent à un accord à l’automne 1465, le Comte de Charolais exclut Dinant du traité car les habitants l’avaient insulté, lui et sa mère. Les milices dinantaises continuèrent donc de rançonner et de ravager le comté voisin, celui de Namur et en particulier les alentours de la ville de Bouvigne. En juillet, Charles le Charolais et Philippe le Bon rassemblèrent l’armée et marchèrent sur la ville qu’ils mirent à sac, le 25 aout. A l'automne, l'ambassade attendait toujours la décision du duc Philippe.
En France, le duc de Berry contrôlait à peine son nouveau duché. Les bonnes villes de Basse- Normandie étaient ulcérées par les pillages bretons. Incapable de les payer et de les ravitailler, le duc de Berry les laissa rançonner les territoires qu’elles contrôlaient pendant l’hiver et le printemps. S’il réussit à les démobiliser à la St Jean, les garnisons ne s’en allèrent pas les mains vides et firent maints détours avant d’arriver à Avranches. Charles de Berry perdit ainsi le peu de crédit qu’il avait dans la province. En réalité, à part la ville de Rouen et la vallée de la Seine, Charles de Berry ne gouvernait rien. Dés l’hiver 1465, Louis XI avait infiltré agents et argent dans la province. Petit à petit, les villes se rallièrent à sa cause si bien qu’à l’automne, le roi contrôlait la région. En octobre, lorsqu’une troupe française parcourut la basse - Normandie, elle fut accueillie avec soulagement. A son approche, Charles de Berry s’enfuit de Rouen en Novembre et préféra passer en Bourgogne. 
Philippe Le Bon, duc de Bourgogne et père de Charles de Charolais

Chicanerie parlementaire. Jean de Penthièvre sortit de l’antichambre du roi de France le sourire aux lèvres. Il avait obtenu le soutien de Louis XI dans sa querelle avec le duc de Bretagne. Refusant de participer à la ligue du bien public, Jean avait assisté son suzerain français pendant toute la révolte et continuait à soutenir le roi contre son frère Charles. En mai 1465, le duc de Bretagne l’avait condamné pour félonie et avait confisqué ses fiefs de la côte nord. A Etampes, malgré les appels à la clémence de Louis XI, le duc de Bretagne n’avait pas cédé. Irrité par les suppliques et les tergiversations royales dans les négociations, François II, sûr de son bon droit, exigea de conserver les revenus obtenus pendant la confiscation mais aussi que Jean de Penthièvre se rende en habit de pénitent à Nantes pour lui répéter son hommage-lige. Après quelques discussions avec des officiers royaux, Jean de Penthièvre, refusant de s’humilier, déposa une plainte auprès du Parlement de Paris pour casser le jugement du duc de Bretagne. Louis XI sauta sur cette occasion d’affirmer la supériorité de la justice royale sur celle du duc, son vassal.

1466.Ep3. DINANT MARTYR DES FLANDRES

Yann survécut à sa chute et à la longue bataille de rues qui suivit. Le pillage de la ville dura jusqu’au matin. S’introduisant dans une maison sur la place de la collégiale, il trouva un marchand, sa femme et leurs enfants cachés dans le cellier. Il s’empara d’abord d’une bouteille de vin pour étancher sa soif puis regarda longuement l’homme de la maison. Malgré la différence de langue, Yann lui fit comprendre qu’il pouvait préserver sa famille et son logis en échange du lit, du couvert et d’une bourse très large et très profonde pleine d’écus d’or ou d’argent. Les cris de sa femme, la terreur de sa fille, les sanglots du petit, l’arrivée d’Yvon et ses vêtements dégoulinants de sang poussèrent le marchand à une grande générosité. Deux sacs bien remplis atterrirent sur la table. La tension de la journée tomba de ses épaules. Yann se mit à trembler de tous ses membres. S’agrippant aux sacs et à sa bouteille, il se traîna sur le pas de la porte d’entrée où il se laissa tomber. Il fourragea dans les sacs, y pêcha une poignée d’écus et testa leur qualité, un à un, d’un coup de croc. Yvon le rejoignit dans la rue avec, dans les mains, les bijoux de la propriétaire. Ils furent pris d’un fou rire. Ils étaient vivants. Une cinquantaine de bretons menés par le Sieur de Kérouzéré s’approcha d’eux. Le seigneur estima la maison d’un coup d’œil, leur dit de la réserver pour son coucher puis ordonna à ses compagnons de bloquer la rue et d’en virer les soldats ne portant pas la croix noire. Comme un grand coup de balai, les mercenaires repoussèrent les soldats bourguignons et rassemblèrent les habitants au centre de la chaussée. Puis, ils entrèrent trois par trois dans les maisons. Rapidement, des piles d’objets de valeurs s’élevèrent devant chaque demeure : coffres éventrés, plats divers, chandeliers d’argent, tapisseries, vêtements fins, victuailles et tonneaux de vins se retrouvèrent dans le caniveau. Une table fut dressée devant le domicile gardé par Yann et Yvon. Un clerc y rédigea l’inventaire des objets pillés. Puis, ils furent chargés dans deux chariots. La besogne fut rondement menée et au milieu de la nuit, le Sieur de Kérouzéré revint escorté de deux porteurs de torche et d’une fille du voisinage qu’il coucha dans le lit du bourgeois. Yann et Yvon dormaient dans la salle commune quand Odilon Verjus, aumônier de la compagnie, surgit dans la maisonnée hurlant qu’un incendie se répandait depuis le nord. Si la plupart des soldats se retirèrent hors les murs, la garde ducale et la bande de Bretagne sous les ordres du Comte de Charolais établirent un cordon de sécurité autour de la collégiale et s’employèrent à sauver la partie sud de la ville en abattant les maisons à la hauteur du pont sur la Meuse. A l’aube, les Dinantais erraient hagards parmi les décombres calcinés et la collégiale surplombait un champ de ruines et de cendres. Les pillards revenaient par petits groupes. Ils étaient accompagnés par des habitants de Bouvigne, éternelle rivale de Dinant, qui désiraient se venger des exactions commises par les rebelles. Les habitants les plus malchanceux furent massacrés d’horrible manière : noyés attachés deux à deux. D’autres furent pourchassés entre les pans de murs écroulés. La plupart s’enfuirent. Il fallut l’intervention du Comte de Charolais pour que le massacre cesse. Le 26, au soir, paradant dans la ville ruinée, Philippe le Bon montrait à tous que la puissance des villes de Flandres ne pouvait rivaliser avec la sienne. Liège s’était rendu, Dinant était châtié, la révolte était écrasée. Le Duc dominait sans partage. Début octobre, à Anvers, la bande bretonne reçut son congé du duc de Bourgogne qui promit de les réengager. Le voyage se déroula sans encombre jusqu’à St Malo où la compagnie se dispersa. Lors de l’avent, le Sieur de Kérouzéré regroupa la moitié de sa compagnie et il promut Yann La Roche au rang de second. Ils partaient pour le nord.

jeudi 16 mai 2013

1466 Ep2 EN BRETAGNE,

Une troupe de cavaliers trottait sur la route de Guérande à Clisson. Le crachin pesait sur les lourdes capes de laine. Le duc François pestait contre le vent et cette pluie fine qui pénétrait jusqu’à ces chausses. L’année avait pourtant bien commencé et il avait passé des fêtes excellentes. Malgré un certain endettement, il avait les fonds nécessaires pour ses petits plaisirs et ceux de sa maitresse. Son fils grandissait. Seule, sa femme lui causait du souci. Elle semblait ne plus pouvoir enfanter malgré tous ses efforts. Elle était constamment alitée depuis l’automne. Le duc était sur le chemin du retour. Il avait passé la semaine à Guérande où il avait rencontré les principaux marchands de sel de son duché. Ce séjour avait été désagréable. Loin de la douceur nantaise, de sa maitresse et de son fils, le duc s’était ennuyé ferme en compagnie de marchands chicaniers et pinailleurs qui n’espéraient que profits et bénéfices. Il avait fait tout cela pour ne plus entendre son trésorier général Pierre dire qu’il n’avait pas assez d’argent. Soupirant, il se dit que le duché était sorti plus fort et plus riche de cette réunion.
Pierre Landais souriait. Le duc avait cédé. Sa cour assidue, sa capacité à lever des fonds pour les plaisirs du duc et quelques remarques habiles et bien placées avaient créées cet évènement. Pierre Landais voulait renforcer le duché de Bretagne et lui rendre la splendeur du royaume breton du Xè siècle. Bien sûr, sa fortune en profiterait. Ainsi, sa Trésorerie générale avait gagné un nouveau poste : celui de Receveur général des Devoirs (impôts indirects). Il allait confier ce travail à un homme de confiance et en tirerait des bénéfices politiques et financiers. Il avait tout le temps pour y penser. Mais ce soir, il comptait se détendre. Cette semaine de négociation avait été rude d’autant plus que le chancelier du duc Guillaume Chauvin intriguait contre lui. Pour Pierre, le chancelier aimait trop la cour de France et n’avait pas compris qu’il valait mieux être un grand parmi les petits qu’un petit parmi les grands, surtout français. Les satisfactions et les possibilités étaient bien plus nombreuses chez les « petits bretons ».

Pierre Landais, Trésorier général du duché de Bretagne.
Le Chancelier lui râlait profondément dans sa barbe. Il avait perdu ce combat. Ces tentatives pour contrer le trésorier n’avaient pas fonctionné. Les marchands demandaient trop. Foutus financiers qui exigeaient baisse générale des taxes, fin des péages ou encore un état des marchands au Etats de Bretagne ! Un d’entre eux aurait même parlé de charte de commerce dans une auberge. Ces hommes avaient trop de puissances, trop de prétentions et ils en gagnaient de plus en plus ! Si la ligue du bien public avait ralenti le commerce, il avait repris plus intensément dés le retour du printemps. Le recrutement des bandes n’était qu’un camouflage pour des opérations mercantiles. Certains nobles s’engageaient même dans le commerce du vin, d’autres finançaient des forges. Une honte, un déshonneur ! Il faudrait renforcer la tradition et revenir aux vraies valeurs de la noblesse comme en France !
Un quatrième cavalier chevauchait pesamment derrière les trois hommes les plus puissants du duché de Bretagne. André de Lohéac n’était plus très jeune. Il n’avait ni sa souplesse d’antan, ni l’entrain habituel. Le traité d’Etampes avait été une déception, il n’était pas rentré en grâce auprès du roi de France. Ses succès à Montlhéry et à Pontoise avaient joué contre lui. Le roi lui avait redonné accès à ses biens français mais refusait de le recevoir à la cour. N’étant plus ni amiral, ni maréchal de France, ses pensions et ses pouvoirs avaient disparus. Il s’en était donc retourné dans le pays de Retz et le duc l’appelait de temps en temps à la cour pour profiter de sa compagnie. Bon vivant comme le duc et appréciant la compagnie de François II, le maréchal de Lohéac s’interrogeait sur son avenir. Qui lui offrirait les meilleures opportunités à l’avenir ? Devait-il faire le pas décisif et demander à se mettre au service de la Bretagne ? Louis XI ne lui pardonnerait pas s’il se rangeait dans le camp breton avant de regagner la grâce royale. Ayant assisté aux négociations d’Etampes, André de Lohéac savait que le roi menait son royaume d’une main de fer dans un gant de velours. D’un autre côté, le duc était ouvert et aimable mais peu intéressé par son gouvernement. François II lui demandait encore conseil lors d’affaires militaires mais jamais officiellement pour ne pas contrarier le maréchal de Bretagne. Pourtant, le duc pourrait lui offrir une liberté d’action que l’araignée française n’accordait à personne et André avait quelques idées personnelles à réaliser de son vivant.
Pendant ce temps, à Clisson, le trésorier des guerres consultait le compte-rendu de la réunion apporté par un messager. Le duc avait pris les bonnes décisions pour mieux contrôler le commerce. Mais la contrepartie était bien plus intéressante. François II et le trésorier général avait essayé de concocter un système de mercenariat naval par l’usage des lettres de marque et de représailles. Certes, François II devra baisser le tarif des lettres de marque d’un tiers et ne percevra qu’un huitième de la valeur des prises. Mais les corsaires devront embarquer et solder une dizaine de franc-archers qui tiendront un double du journal de bord. De plus, ils pourront se faire engager par des puissances étrangères avec l’autorisation des autorités ducales. Ils devront verser un douzième de leur part de prises au duc et embarquer le même nombre de franc-archers. Il constata que les autres modalités étaient les mêmes que celles du contrat des bandes. Le trésorier se doutait bien que le contrôle serait peu efficace. Mais, si ça marchait, cela créerait de facto le noyau privé d’une marine de guerre. Lohéac avait vraiment des idées contagieuses.

mardi 14 mai 2013

1466. Ep1. LE SAC DE DINANT, une aventure de Yann La Roche

24 août 1466
Yann, originaire de la Roche – Bernard, était sûr que les seules choses qu’il avait gardées depuis son enrôlement étaient son surnom et sa croix noire. Dizainier depuis Montlhéry, il donnait des ordres à d’autres nobles, des jeunes écuyers ruinés de Rennes, des nobles de Cornouaille plus métayers que chevaliers et un ou deux fils de barons en mal d’aventure et d’expérience. Cette bande remplissait son rôle de mercenaire auprès du duc de bourgogne depuis sept mois. En compagnie des 400 hommes du sieur de Kerouzéré, Yann montait la garde aux bombardes dans le faubourg nord de Dinant. Celles-ci battaient la muraille de la cité. Les coups se succédaient à intervalles irrégulières tandis que les hommes cherchaient à tromper leur ennui en somnolant. Yann observa son chef debout les poings sur les hanches. Si Yann était entré parmi les premiers dans Montlhéry, le sieur de Kérouzéré avait organisé la mise à sac systématique des maisons donnant sur la place du marché. Les hommes disaient qu’il s’y était remboursé de son investissement. Il aurait fait sonder murs et jardinets et même aurait chauffer quelques pieds suspects de cachotteries. Plus Yann l’observait, plus il lui trouvait une attitude de rapace prête à tout pour s’enrichir. Il prit un quignon des mains de son compère Yvon et s’accorda une goulée de vin. L’après-midi était belle et les hommes s’employaient à tuer non les hommes mais les heures. S’il ne réagit pas au bruit habituel du canon, Yann fut surpris par le fracas de l’écroulement de la muraille. Après 5 jours de bombardement, La brèche était faite. Il regarda son chef qui déjà criait des ordres. Immédiatement, la compagnie réagit. Yann attrapa sa hallebarde et enfila sa salade. Il rassembla sa dizaine et s’élança vers les restes du mur. Si la première vague n’était composée que des 400 présents, Yann la savait suivie par toute la bande, 1200 hommes prêts à se battre pour un sol. L’attente était finie. Ils fonçaient, tous, armes au poing. Certains hurlaient déjà, d’autres couraient genoux fléchis. Les visages et les voix déformés par l’effort, la faim d’or au ventre, la compagnie Kérouzéré fila dans un chaos de cris et d’entrechoquements métalliques. Autour de lui, Yann sentait la rage du combat montée. Elle l’emportait, lui promettait or, pouvoir, femmes et merveilles pour mieux l’abrutir de sang. Il escalada les premiers blocs sans faillir, s’étala contre la pente juste au dessous de la crête. Il leva la tête, surprit un mouvement devant lui et projeta sa hallebarde en avant. La pointe s’enfonça sous un écu et rencontra la chair. Il la tint, se mit à genoux et poussa. L’homme sans croix éructa, vacilla puis bascula en avant s’empalant plus encore. Yann contra le mouvement et dans un hurlement, souleva le cadavre devant lui. Il franchit la crête derrière ce pavois improvisé et dégringola de l’autre côté des murailles entraînant deux autres défenseurs. Malheureusement pour Dinant, il ne fut pas le seul. Yann était juste le premier de toute une armée.
Note :
Source sur le siège : site officiel de la ville de Dinant. http://www.dinant.be/patrimoine/histoire-dinantaise/sac-de-1466


Ville de Dinant avant le sac. tableau d'après Merian

lundi 13 mai 2013

1465. FIN DE CAMPAGNE



L’armée bretonne marche tout d’abord sur Montfort-L’amaury puis rayonne à partir de ce lieu pour contrôler le sud-ouest de la capitale. Les bretons poussent vers le nord-ouest jusqu’à la Seine. Le duc de Berry avec 3000 de ses vassaux se chargent d’assiéger la zone nord de la ville à partir de St Denis tandis que le Comte de Charolais se charge du sud-est. Les rencontres entre les coalisés se font à la Beauté sur Marne et des négociations s’engagent avec le roi de France. Un cantonnement est aussi installé au pont de Charenton. Le contrôle des routes menant à la capitale reste donc assez lâche. Ravitaillements et renforts parviennent dans la cité surtout en provenance de Normandie. Louis XI recrute personnellement des troupes dans ce duché et les ramène en aout. En parallèle, il négocie avec les grands féodaux, jouant de leurs ambitions personnelles pour les séparer. Les ligueurs resserrent l’étau autour de Paris mais restent incapable de se mettre d’accord. le roi les divise en les rencontrant individuellement. La situation évolue en septembre. Le 21 septembre, les bandes bretonnes menées par André de Lohéac prennent la forteresse de Pontoise, porte de la Normandie. Cet assaut impressionne le comte de Charolais et le Duc de Berry. Enfin, las des impositions élevées et des prélèvements forcés, la ville de Rouen se révolte. Charles de Berry s’y rend et y est accueilli en héros. La Basse-Normandie est, elle, occupée par des garnisons bretonnes. Louis XI  céde. En effet, la capitale est alors complètement encerclée par des forts ennemis. Même si du ravitaillement passe encore les lignes ligueuses, Paris sera vite affamé. Les trois principaux meneurs obtiennent ce qu’ils désirent. Mais leurs ambitions aboutissent à trois traités séparés et à la mise en place d’une commission de réforme du royaume.
Château royal de Pontoise
Le 5 octobre 1465 est signé le traité de Conflans entre le roi et le comte de Charolais. C’est celui qui frustre le plus le roi de France. Charles obtient le retour des villes de la somme dans le domaine bourguignon. De plus, Louis XI lui cède en toute propriété Boulogne, Guîne, Roye, Péronne et Montdidier . Enfin, en raison de l’alliance du roi avec les bourgeois révoltés de liège, Charles l’oblige à financer le recrutement de mercenaires destinés à écraser cette révolte. 
Le 29 octobre à St Maur-les-Fossés, Louis XI confie à son frère Charles de Berry le duché de Normandie en apanage. Il donne à Jean de Calabre, régent de Lorraine, les villes de Mouzon, St-Ménehould et Neufchâteau. Enfin, une commission de 36 membres, présidée par Dunois, doit réformer les abus de l'administration.
le 30 octobre, à Etampes, Louis XI abandonne au duc de Bretagne la régale et les aides de la Bretagne. En échange du comté d’Etampes et de la libération de Pontoise et de Montlhéry, le duc de Bretagne obtient la forteresse du Mont St Michel. Cet abandon d’Etampes ne surprend personne car ce n’est pour le duc de Bretagne qu’un titre. En effet, la vicomté est tenue par les bourguignons et cela ne fait ni chaud ni froid au duc que le roi de France la réclame au comte de Charolais. Dunois, le bâtard d’Orléans et Antoine de Chabannes rentrent en grâce et reprennent leur place à la cour.
Impressionné par la prise de Pontoise, Charles demande à engager trois bandes de mercenaires bretons, soit un total de 1200 hommes pour un an. François II donne facilement son accord car cela lui permet de payer les arriérés de soldes de ses troupes. François II dont les forces se sont emparées de quelques garnisons normandes et en particulier de Caen ne pousse pas ses avantages sur Charles de Berry mais négocie avec lui un accord lucratif. Charles veut engager deux bandes pour prendre le contrôle de son nouveau duché. Le duc de Bretagne propose plutôt de lui louer pour un an les garnisons des forteresses que ses forces occupent. Le contrat est signé le 25 octobre à Montfort-L’amaury. Les capacités financières de l’Etat de Bourgogne étant ce qu’elles sont, Charles de Charolais débourse la totalité de la part du duc. Son sixième obtenu, le duc ne pose que deux conditions : les 1200 hommes de Bretagne doivent combattre en une seule unité, leurs officiers assureront leur commandement et éliront un chef parmi eux. Le contrat avec le Duc de Berry demande plus de négociations mais aboutit au versement de la moitié du sixième et le passage des deux ducs par la Normandie en novembre permet à François II de prélever le reste auprès des bonnes villes de Normandie.


Extrait du film "Le Petit Poucet" de 2001 réalisé par Olivier Dahan qui met en scène les prélèvements pacifiques des Bretons en Normandie.