Extrait de la conférence de F.Duby sur la naissance de l'état moderne.
La Saint Patrick fut le tournant diplomatique de l'année. Malgré la relation qu'en a laissée Philippe de Commynes qui nous présente l'incroyable session parlementaire de cette journée et les cérémonies qui en découlèrent, la réussite d'Henry Tudor reste mal connue car on ne sait que peu ou pas de choses sur les négociations personnelles qui se sont déroulées avant le premier Parlement de l'Irlande. Pourtant, ce succès renversa la situation géopolitique dans le nord-ouest de l'Europe.
La première réussite d'Henry Tudor est d'avoir rassembler en un seul endroit des groupes sociaux très hétérogènes. En effet, dans la cathédrale de St Patrick de Dublin, se trouvent ce jour-là, des membres de la noblesse, du clergé et de la bourgeoisie. Rien de plus normal dans la société médiévale, me direz-vous ! Mais, si on rentre dans le détail, la situation se complexifie à l'extrême. Prenons tout d'abord ce que nous appellerons la noblesse irlandaise. Elle se divise en deux catégories distinctes. La première est celle des clans d'Irlande dont fait partie le roi de Desmond du clan MacCarthy. Elle suit la loi irlandaise, la Brehon Law et elle accède au pouvoir et s'y maintient autant par hérédité que par la reconnaissance du clan. A l'inverse, la noblesse irlando-anglaise suit les règles de la féodalité et même si elle parle gaélique, ses représentants comme le comte de Kildare maintiennent leur pouvoir par des liens de vassalité typiques du moyen-âge, des hommages-liges. On note en plus de cette différence les divisions classiques entre haute et petite noblesse, entre riches et pauvres et entre puissants et faibles. Or, Henry Tudor rassemble les représentants de la noblesse de Meath, Leinster et Munster. Philippe de Commynes ne mentionne qu'en passant quelques petits nobles de l'Ulster et il souligne l'absence de ceux du Connaugh. Henry Tudor réussit donc le tour de force de rassembler la noblesse du sud et de l'est de l'Irlande.
Il obtient aussi l'appui des éléments les plus prestigieux du clergé irlandais. Évêques et Abbés des grands monastères d'Irlande sont là. Ils espèrent du jeune Tudor, outre le respect de leurs pouvoirs, la protection des biens de l'Eglise. La turbulence des rapports entre les différentes factions irlandaises rend problématique le maintien de l'ordre et de la paix civile. Même si églises et monastères sont peu visés par ces groupes, les pillages et les vols restent fréquents et endommagent ces centres de pouvoir, de richesses culturelles et économiques que sont les abbayes et les évêchés irlandais.
Enfin, les villes se partagent aussi en deux groupes. Les villes fondées par les vikings comme Limerick se distinguent par leurs institutions de Dublin, ville à l'origine de culture nordique mais où l'influence anglaise l'a emportée depuis longtemps. L'importance du commerce et la vie urbaine maintient une certaine unité dans ce groupe qui a augmenté son pouvoir depuis la réouverture des échanges avec le continent. Si les villes de l'est sont les premiers acteurs de la guerre de course irlandaise, toutes se rendent compte que jouer les Tudors leur permettra de contrer le pouvoir des seigneurs voisins et d'obtenir une meilleure protection.
Si sa première victoire est d'avoir rassembler tous ces groupes, Henry doit les unir derrière lui. C'est là que les relations personnelles de Jasper et Henry vont entrer en action. Premièrement, Louis XI fournit cette année-là un soutien financier plus important évalué à 30000 livres. De plus, il finance les mercenaires bretons qui vont rester quatre ans en Irlande et, enfin, il envoie un des plus grands diplomates du siècle, Philippe de Commynes. Pour le roi, cette aide a surtout pour but de maintenir la combativité des Tudor dans la guerre civile anglaise. Or, Commynes va utiliser ces finances pour renforcer l'influence des Tudors sur l'Irlande. Il voit plus loin que Louis XI et sait qu'un nouvel État menace bien plus l'Angleterre qu'une bande de corsaires retranchée sur l'île de Man. Il épaule donc la tentative des derniers Lancastres. Deuxièmement, Jasper Tudor, maitre de l'île de Man dont la réputation de chef de guerre est bien établie, est ami avec Gerald Fitzgerald de Kildare et il a obtenu en janvier la main d'une des filles du comte. Enfin, Henry Tudor détient un nombre important d'otages des clans du Thomond. Il les envoie en Bretagne et en France début mars. Hors de portée de leur clan, ils vont être éduqués dans les cours de Nantes et de Paris. Henry espère en faire ses futurs officiers.
Présent lors du 1er Parlement à titre d'observateur, Philippe de Commynes nous a transmis le discours de Gerald de Kildare devant l'assemblée. Cette intervention présente le jeune Henry comme un roi mais aussi comme un Irlandais de cœur. Puis en gaélique, Gerald fait hommage-lige à Henry le reconnaissant comme son seigneur et de facto comme le seigneur d'Irlande dont il n'est que le délégué. En retour, Henry reconnait Gerald comme son vassal et le nomme Chancelier et garde des sceaux de l'Irlande. Henry répond en Irlandais au serment de vassalité. Jasper Tudor suit alors son ami et prête hommage dans la même langue. Henry lui donne l'office d'amiral d'Irlande et le gouvernement de l'île de Man. Le troisième personnage et le plus surprenant à rendre hommage est, bien sûr, Tadgh Liath MacCarthy du Desmond qui est sur le champ nommé maréchal d'Irlande. Enfin, par le droit du vainqueur et parce qu'il a obligé nombre de chefs de clan à lui rendre hommage l'année précédente, Henry Tudor annonce la réunion au domaine de la Seigneurie d'Irlande du Thomond (territoire des O'brien), des cités de Waterford, Limerick et Dublin qui obtiennent le maintien de leurs chartes urbaines ainsi que le règlement de l'héritage de John Butler, 6th Earl of Ormond en sa faveur. Allié des Yorkistes, celui-ci n'a pas de descendant et vaincu en 1472, est maintenu en résidence surveillée. Il s'agit d'une confiscation déguisée car le comté aurait du revenir à son frère Thomas. Dernier des grands nobles du sud, le comte de Desmond prête serment. Il a été encouragé financièrement par Commynes et par le fait qu'il conserve le contrôle de Cork.
La chronique de Commynes, dont ce passage est devenu un classique de la littérature nationaliste irlandaise, ne parle ni de critique ni d'opposition pendant cette assemblée. Mais si elles ont existé, Henry Tudor les étouffa dans l'œuf en présentant la tête du roi du Thomond qu'il a exécuté ce matin-là. Enfin, il reçoit la reconnaissance de la France par l'intermédiaire de Philippe de Commynes qui en prend seul l'initiative comme l'a démontré J.Heers dans sa biographie de Louis XI. Alors et alors seulement, l'ensemble de l'assemblée le reconnait comme Seigneur de l'Irlande. Henry Tudor établit ainsi sa suzeraineté sur tout le sud. Il lui reste à la maintenir, à soumettre le nord et à obtenir la reconnaissance papale qui seul peut officialiser son titre.
Il obtient aussi l'appui des éléments les plus prestigieux du clergé irlandais. Évêques et Abbés des grands monastères d'Irlande sont là. Ils espèrent du jeune Tudor, outre le respect de leurs pouvoirs, la protection des biens de l'Eglise. La turbulence des rapports entre les différentes factions irlandaises rend problématique le maintien de l'ordre et de la paix civile. Même si églises et monastères sont peu visés par ces groupes, les pillages et les vols restent fréquents et endommagent ces centres de pouvoir, de richesses culturelles et économiques que sont les abbayes et les évêchés irlandais.
Enfin, les villes se partagent aussi en deux groupes. Les villes fondées par les vikings comme Limerick se distinguent par leurs institutions de Dublin, ville à l'origine de culture nordique mais où l'influence anglaise l'a emportée depuis longtemps. L'importance du commerce et la vie urbaine maintient une certaine unité dans ce groupe qui a augmenté son pouvoir depuis la réouverture des échanges avec le continent. Si les villes de l'est sont les premiers acteurs de la guerre de course irlandaise, toutes se rendent compte que jouer les Tudors leur permettra de contrer le pouvoir des seigneurs voisins et d'obtenir une meilleure protection.
Si sa première victoire est d'avoir rassembler tous ces groupes, Henry doit les unir derrière lui. C'est là que les relations personnelles de Jasper et Henry vont entrer en action. Premièrement, Louis XI fournit cette année-là un soutien financier plus important évalué à 30000 livres. De plus, il finance les mercenaires bretons qui vont rester quatre ans en Irlande et, enfin, il envoie un des plus grands diplomates du siècle, Philippe de Commynes. Pour le roi, cette aide a surtout pour but de maintenir la combativité des Tudor dans la guerre civile anglaise. Or, Commynes va utiliser ces finances pour renforcer l'influence des Tudors sur l'Irlande. Il voit plus loin que Louis XI et sait qu'un nouvel État menace bien plus l'Angleterre qu'une bande de corsaires retranchée sur l'île de Man. Il épaule donc la tentative des derniers Lancastres. Deuxièmement, Jasper Tudor, maitre de l'île de Man dont la réputation de chef de guerre est bien établie, est ami avec Gerald Fitzgerald de Kildare et il a obtenu en janvier la main d'une des filles du comte. Enfin, Henry Tudor détient un nombre important d'otages des clans du Thomond. Il les envoie en Bretagne et en France début mars. Hors de portée de leur clan, ils vont être éduqués dans les cours de Nantes et de Paris. Henry espère en faire ses futurs officiers.
Présent lors du 1er Parlement à titre d'observateur, Philippe de Commynes nous a transmis le discours de Gerald de Kildare devant l'assemblée. Cette intervention présente le jeune Henry comme un roi mais aussi comme un Irlandais de cœur. Puis en gaélique, Gerald fait hommage-lige à Henry le reconnaissant comme son seigneur et de facto comme le seigneur d'Irlande dont il n'est que le délégué. En retour, Henry reconnait Gerald comme son vassal et le nomme Chancelier et garde des sceaux de l'Irlande. Henry répond en Irlandais au serment de vassalité. Jasper Tudor suit alors son ami et prête hommage dans la même langue. Henry lui donne l'office d'amiral d'Irlande et le gouvernement de l'île de Man. Le troisième personnage et le plus surprenant à rendre hommage est, bien sûr, Tadgh Liath MacCarthy du Desmond qui est sur le champ nommé maréchal d'Irlande. Enfin, par le droit du vainqueur et parce qu'il a obligé nombre de chefs de clan à lui rendre hommage l'année précédente, Henry Tudor annonce la réunion au domaine de la Seigneurie d'Irlande du Thomond (territoire des O'brien), des cités de Waterford, Limerick et Dublin qui obtiennent le maintien de leurs chartes urbaines ainsi que le règlement de l'héritage de John Butler, 6th Earl of Ormond en sa faveur. Allié des Yorkistes, celui-ci n'a pas de descendant et vaincu en 1472, est maintenu en résidence surveillée. Il s'agit d'une confiscation déguisée car le comté aurait du revenir à son frère Thomas. Dernier des grands nobles du sud, le comte de Desmond prête serment. Il a été encouragé financièrement par Commynes et par le fait qu'il conserve le contrôle de Cork.
La chronique de Commynes, dont ce passage est devenu un classique de la littérature nationaliste irlandaise, ne parle ni de critique ni d'opposition pendant cette assemblée. Mais si elles ont existé, Henry Tudor les étouffa dans l'œuf en présentant la tête du roi du Thomond qu'il a exécuté ce matin-là. Enfin, il reçoit la reconnaissance de la France par l'intermédiaire de Philippe de Commynes qui en prend seul l'initiative comme l'a démontré J.Heers dans sa biographie de Louis XI. Alors et alors seulement, l'ensemble de l'assemblée le reconnait comme Seigneur de l'Irlande. Henry Tudor établit ainsi sa suzeraineté sur tout le sud. Il lui reste à la maintenir, à soumettre le nord et à obtenir la reconnaissance papale qui seul peut officialiser son titre.
L'Irlande avant les Tudors. Le Pale est le seul territoire contrôlé par les agents du roi d'Angleterre. |
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